Bouli Lanners était parvenu à devenir l’un des rares paysagistes de la Belgique au fil d’une filmographie résolument locale, qui faisait la part belle aux hommes de tous âges, évoluant le plus souvent dans les marges. Son nouveau projet montre une ambition nouvelle : en langue anglaise, délocalisé dans une Ecosse qu’il connait très bien, il lui permet d’ajouter non seulement des landes rousses et des falaises tombant dans la mer, mais également un récit romantique qu’on n’aurait pas forcément attendu de lui.


La question du couple, déjà abordée auparavant, devient ici centrale, sans se départir d’une thématique croissante depuis ses soucis de santé, à savoir la confrontation à la mort. Son intrigue se concentre en premier lieu sur la reconstruction d’un individu atteint d’amnésie à la suite d’un AVC, et qui entretient avec lui le rapport qu’ont les spectateurs avec chaque personnage qu’on expose au début d’un nouveau récit. Le voilà qui interroge sur sa place, son passé, son rapport aux personnes qui ses disent proches, et jusqu’à la signification de ses tatouages. Le monde est une page blanche, et une femme saisira l’opportunité pour y écrire sa partition, quitte à aller jusqu’au révisionnisme.


Comme toujours chez Lanners, l’autre paysage à investir est sa propre carcasse, massive et vulnérable, et son visage qui ne demande qu’à laisser affleurer l’enfant encore présent sous les traits burinés de l’homme d’expérience. Fidèle à un tempo qui sait suivre les personnages dans leurs déplacements, leurs silences et la timidité progressivement vaincue, le cinéaste capte avec pudeur la veine sentimentale de son intrigue, se réfugiant régulièrement derrière des gardes fous : le cadre d’une vitre donnant sur l’extérieur, le sermon d’un pasteur presbytérien, voire un enjeu secondaire et en miroir impliquant la destinée d’un chien.


Mais la question centrale du mensonge s’avère finalement multiple : en s’offrant une deuxième chance, les amants savent qu’il va falloir faire fi du passé : en l’inventant, ou le passant sous silence. Un pari risqué, mais qui a le mérite de vaincre la paralysie à laquelle semblait se résumer leur existence jusqu’alors. C’est cette sortie d’une vie ankylosée que Lanners filme avec patience et empathie, bien conscient que la seule rédemption d’une reverdie ne suffira pas pour exploiter ses thématiques de prédilection.


(Spoils)


Depuis le début, son personnage plante des clôtures et creuse des trous, qui, à mesure que le temps passe, évoquent de plus en plus ceux de sa dernière demeure. Sa condamnation au retour de l’attaque accroit certes les ficèles du mélo, mais permet surtout d’exalter le rapport au temps qui s’offre aux deux néo adolescents cherchant à se prendre la main. L’urgence de cette parenthèse comprise après coup donne un sens à deux consciences qui auraient pu capituler et rester statiques. Les vêtements de deuil restent de mise, et l’embellie aura été de courte durée. Mais ces déchirures de lumières resteront dans le cœur de ceux qui reste, à l’image de ces ciels mouvants d’une île d’Ecosse.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 29 mars 2022

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Sergent_Pepper

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