Stroke on the water
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Bouli Lanners nous démontre une fois de plus que derrière sa carapace de brute épaisse ultra-tatouée se cache une sensibilité à fleur de peau, un romantisme presque fleur bleue mais nullement niais. J'avais adoré Les premiers, les derniers pour cette même raison ; Bouli Lanners cassait les codes du film de gangsters pour mieux nous exposer un manifeste humaniste. Finalement, seuls l'amour et la solidarité pourront restaurer une humanité moralement dévoyée nous disait-il en substance.
Dans l'ombre d'un mensonge, il pose le décor sur une petite île d'Ecosse, où vit une communauté presbytérienne évoluant en vase clos. On pense immédiatement à Breaking the waves de Lars Von Trier. Les codes sociaux et moraux de cette communauté endogamique sont pesants et corsètent la vie sociale. Peu de place pour la joie et pour l'amour ; tout le monde se connaît, la vie est rude, les étrangers sont rares et mal perçus et la vie liturgique occupe une place déterminante que soit à la messe, le dimanche, ou au pub, le reste de la semaine. Toutefois la comparaison s'arrête ici : contrairement à Lars Von Trier le pessimiste obsédé par la mort et le mal, Bouli Lanners va au contraire s'efforcer de réconcilier les vivants et magnifier leur dimension aimante, humaine et lumineuse.
Mais pour ce faire, il faudra l'aide d'un étranger, incarné par Philippe, ce Belge, venu s'installer ici, libre de toute attache, et qui est parvenu à s'intégrer dans ce cadre insulaire et hostile pour y faire sa vie. Victime d'un AVC, il est frappé d'amnésie. Pour Phil, perdre la mémoire est en réalité la meilleure façon de vivre une seconde fois, repartir de zéro en se libérant des affres et des turpitudes du passé. Voilà ce que nous dit en substance Bouli Lanners : chacun de nous a droit à un second départ, un nouvelle chance de jouir pleinement de l'existence et de témoigner notre amour aux vivants : car la mort finira toujours par nous rattraper... D'où la nécessité impérieuse de ne nourrir aucun regret tant qu'il n'est pas trop tard.
Certes le scénario tient sur une page et les rebondissements n'en sont guère. Phil sera évidemment rattrapé par son passé et il ne pourra pas échapper éternellement à ses fuites, pas davantage qu'au caractère inéluctable de la mort. Mais cela n'a que très peu d'importance.
Dans cette lutte pour la vie, Bouli Lanners nous livre une histoire d'amour puissante et lumineuse. Voir ces corps marqués par la vie et le poids des traditions s'enlacer est magnifique. Le couple que Lanners incarne avec Michelle Fairley, filmé avec beaucoup de pudeur, est simplement superbe, sans aucune fausse note. Le tout dans ce paysage de landes dont la caméra sublime la mélancolie.
Certes, tout cela repose sur un mensonge. Mais un mensonge est-il moralement condamnable dès lors qu'il n'a pas pour objet de tromper l'autre mais au contraire de le préserver ou de rendre possible l'amour et la vie ? Vaste question pour un très beau film.
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le 1 août 2023
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