L'ombre du doute de Aline Isserman est un film rare et assez méconnu qui a pourtant le mérite de porter un regard à la fois froid, lucide et émouvant sur le sujet au combien délicat de l'inceste. Sorti en 1993 le film ne trouvera jamais de véritable reconnaissance ni critique, ni public et encore moins médiatique le film n'étant quasiment jamais rediffusé à la télévision depuis sa diffusion sur Canal plus, sans doute du fait de son sujet trop sensible.
Le film raconte l'histoire Alexandrine une jeune fille de 12 ans, mal dans sa peau et anorexique qui avec le soutien d'une professeur de lettres accuse son père d'attouchements avant de se rétracter sous la pression judiciaire et familiale. Pourtant l'alerte est lancé et Alexandrine se retrouve confié aux soins d'une assistante sociale qui compte bien comprendre la part du vrai et du faux...
L'ombre du doute est certainement un film perfectible sur de nombreux points mais il a le mérite d'aborder avec pudeur mais force l'un des grands tabous de notre société. C'est cette même force qui embarquera sur le projet des acteurs et actrices aussi divers que Michel Aumont, Emmanuelle Riva, Dominique Lavanant, Thierry Lhermitte, Feodore Atkine, Roland Bertin ou Josianne Balasko assez épatante d'humanité en assistante sociale au grand cœur. Après le refus de nombreux comédiens face à la noirceur du rôle c'est le chanteur Alain Bashung qui incarne ce père pris dans la tourmente des accusations de sa fille. Un rôle fort et difficile dont Bashung s’acquitte parfois avec difficulté mais avec une sincérité à fleur de peau. Le personnage est parfois détestable dans sa suffisance de petit bourgeois hautain face au calvaire de sa fille, parfois abject dans sa domination psychologique face à ses proches et parfois bouleversant comme lorsque qu'au hasard d'images vus à la télévision la carapace se fissure et se brise enfin. Dans le rôle de la mère on retrouve la touchante Mireille Perrier tout simplement parfaite en mère incapable de voir , incapable de croire, tout à la fois complice et victime. Forcément il faut parler de la jeune comédienne Sandrine Blancke (Alice dans Toto Le héros) qui incarne ici une jeune fille brisée par les poids additionnés de la honte, de la culpabilité et de la responsabilité et dont la performance est vraiment très émouvante notamment dans sa relation protectrice avec Pierre son petit frère. Il suffit parfois d'un simple regard de cette jeune comédienne pour nous plonger dans un profond et impuissant désarroi face à la difficulté de faire exploser la vérité quand cela rime avec l'explosion de la cellule familiale toute entière.Il ne faut pas croire aveuglément la parole de l'enfant, mais il ne faut pas non plus en douter systématiquement et la scène durant laquelle juste avant son procès Alexandrine retrouve une camarade qui les larmes aux yeux vient s'excuser de l'avoir traitée de menteuse est absolument bouleversante et lourde de sens.
L'ombre du doute est un film sensible car jamais il ne montrera ce qui ne peux l'être, jamais il ne s'appesantira sur les faits préférant mesurer le poids de leur répercutions afin de démontrer combien il est difficile de dénoncer. L'ombre du doute à l'intelligence de montrer le parcours du combattant et l’incommensurable pression psychologique qu'un enfant doit subir lorsqu'il se retrouve à accuser un parent... Alexandrine devra faire face à l'incrédulité, les pressions, les menaces, elle devra verbaliser l'impensable devant des flics pas forcément très adroits face à cette exercice, elle devra se confronter à la vérité, se confronter aux mensonges, se confronter à l'idée même de détruire sa famille entière pour se reconstruire. Si le film pose parfois de manière un peu froide et didactique ses enjeux il sait aussi s'aventurer sur des terrains plus oniriques, parfois aux limites du fantastiques. Le conte est très présent tout au long du film on cite Peau d'âne, Peter Pan, Alice aux pays des merveilles et lorsque Alexandrine s'enfuit avec son petit frère elle trouvera refuge dans la réserve d'un théâtre de marionnette comme on trouve refuge tout au fond de son imaginaire. Quant à celui qui vient la nuit pour voler l'innocence des enfants il sera souvent décrit comme le monstre ou l'ombre noire, comme une saloperie que l'on ne peux nommer clairement. Les monstres ne sont pas toujours sous les lits et au fond des placards, ils dorment parfois juste à côté et viennent nous visiter la nuit pour faire des merveilles de l'enfance les plus atroces des cauchemars.
L'ombre du doute n'est pas un film parfait, il est sans doute parfois maladroit mais c'est un film nécessaire et très émouvant.