Le Commandant du "paquebot" répond

Dans Relève : Histoire d'une création, le passionnant documentaire de Demaizière et Teurlai (sorti fin 2016) qui suivait la création d'un nouveau ballet par Benjamin Millepied, juste avant qu'il ne démissionne de la direction du ballet de l'Opéra national de Paris, ce dernier était qualifié de paquebot, une grosse machine manquant de souplesse et quasi antinomique de l'art de la danse.
J'ai un peu l'impression que, piqué par le brio et glamour de ce documentaire qui, au final, générait une image flatteuse de Benjamin Millepied, le directeur de l'Opéra de Paris (Stéphane Lissner, 64 ans) a éprouvé le besoin de relever le défi et de répondre, par documentaire interposé, à son ex-directeur de ballet.
Le réalisateur Jean-Stéphane Bron a fait un plutôt bon boulot, mais son film est un travail de commande, ça se sent. Et on ne me fera jamais avaler qu'il a eu les mains libres de le faire comme il voulait. Ainsi, toutes les parties purement artistiques du film sont bonnes, parfois très bonnes ou drôles, cocasses, toujours intéressantes, voire sidérantes. Et toutes les séquences, qui nous montrent Stéphane Lissner en train de faire son boulot d'administrateur, paraissent convenues, factices, un peu ridicules, parfois presque puantes (quand il s'essaie à faire du social, prétendant sortir l'Opéra de son univers élitiste et bataillant prétendument pour une baisse du prix des places des représentations, alors qu'il sait très bien que c'est impossible, irréaliste), bref sonnent faux. Se faisant, le directeur de l'Opéra de Paris atteint un résultat quasi contraire à l'objectif visé, puisqu'il apparaît, du moins à mes yeux, comme une sorte de coq en pâte, satisfait de lui-même et tout pénétré de ses compétences et de son expérience immense.
Certains passages du film nous le montrent en compagnie ou présence de Benjamin Millepied, notamment au moment de la "démission" de celui-ci qui, à l'écran en tout cas, semble malheureux, mal dans sa peau, presque torturé et fait peine à voir.
Mais qu'on se rassure, le métrage ne manque pas de très bons moments, artistiques ou anecdotiques.
En vrac : pour la mise en scène de Moïse et Aaron d'Arnold Schönberg, un taureau d'une tonne et demie est entraîné quotidiennement par son coach pour pouvoir finalement paraître en scène sans être affolé par les spots aveuglants, la musique dodécaphonique, la puissance de l'orchestre et la présence de centaines de spectateurs.
La caméra suit les évolutions d'une danseuse toute de tulle blanc vêtue qui, incarnation de la grâce et de la jeunesse, virevolte sur scène avec la légèreté d'une libellule, puis à peine arrivée dans les coulisses, la voilà qui s'effondre au sol, grimaçante et peinant à reprendre sa respiration, avec un visage à qui les crispations de la douleur donnent soudain quinze ans de plus.
Un jeune Russe, chanteur baryton plein de promesse, découvre l'Opéra Bastille (en même temps que le français) et s'émerveille de rencontrer en chair et os un baryton célèbre dont il avait fait un modèle, un dieu inaccessible et qui le traite spontanément sur un pied d'égalité.
Tout un tissu de petites anecdotes, souvent savoureuses. Hélas entrelacées aux problèmes d'administration du Directeur de l'Opéra qui, eux, ne sont décidément pas très cinégéniques. Ainsi, on a un peu de mal à, comment dire ?, gober les prétendus problèmes de conscience de Mr. Lissner quand le Ministère lui demande, par exemple, de supprimer dix postes supplémentaires (après les trente précédemment sabrés), parce qu'il faut faire des économies de budget.
Sûr, il n'est pas simple, on en convient, d'être le directeur de l'Opéra national de Paris, donc d'avoir à administrer tout à la fois l'Opéra Garnier, l'Opéra Bastille, un orchestre symphonique de 168 musiciens, un ballet de 154 danseuses et danseurs, ainsi qu'à organiser des grandes premières internationales (avec présence éventuelle du Président de la République), tout en ayant une politique sociale en tentant d'ouvrir l'art lyrique et chorégraphique aux jeunes (voire très jeunes) de tous les milieux... mais ça n'est pas vraiment ce qui m'a intéressé dans ce documentaire, je suis même persuadé que j'oublierai ça très vite. Par contre, je n'oublierai pas le reste, tout ce qui participe à la vie artistique du "paquebot", tout ce qui se passe en coulisses quotidiennement, surtout quand la caméra réussit à se faire oublier et à saisir l'instant qui passe, le détail minuscule qui révèle, en tout cas fait mieux comprendre, la vie "on" ou "off" (jouée ou non) de ces hommes et femmes, grands artistes ou modestes employés, qui tous participent à l'animation de ce mythique "paquebot" et nous introduisent dans un monde revu et corrigé par l'art, un monde de rêve, qu'on aimerait ne jamais quitter.

Fleming
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le 8 avr. 2017

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