En 1928, Buster Keaton réalise l’Opérateur, un de ses tout derniers films de la période du muet. Cette comédie burlesque qui raconte les tribulations d’un apprenti reporter interroge l’essence même du cinéma.
Un personnage familier/singulier
L’Opérateur, comme nombre de comédies sentimentales de cette période du muet, s’appuie sur un personnage présentant les caractéristiques de l’anti-héros. En l’occurrence, un photographe au style lunaire typiquement keatonnesque. Luke Shannon, tombé amoureux de la charmante Sally, se fait recruter illico par la Metro-Goldwyn-Mayer où cette dernière travaille. Se faisant fort de prouver ses talents de reporter, le voici parti en quête d’images sensationnelles, caméra à deux dollars en bandoulière. L’aventure, c’est bien connu, étant au coin de la rue, ce très singulier apprenti caméraman a vite fait d’entrer en action.
Burlesque à géométrie variable
Buster Keaton est un casse-cou, un athlète à l’allure de gringalet qui assure lui-même toutes ses cascades. Ceci avec une science de l’espace déjà vue à l’œuvre dans la Maison démontable ou Cadet d’eau douce. C’est également le cas dans l’Opérateur. Lors de la rencontre entre Buster et Sally, un coin de rue tranquille se remplit d’une foule surgie de nulle part qui emporte les deux protagonistes. Plus tard, dans une scène culte du film, Luke invité par Sally à la piscine entre dans une cabine pour se changer. Mais un type mal luné s’y installe en même temps. Le mètre carré de la cabine devient alors la scène d’un curieux ballet de contorsionnistes. Techniquement compliqué, mais le résultat est d’une absurde drôlerie. Tout aussi insolite, le passage où Luke s’essaie au « hair-base-ball » seul au milieu d’un stade. Le burlesque chez Buster Keaton est toujours étroitement associé à l’espace.
Mise en abime
Autre scène culte, celle de la guerre des gangs. Tuyauté par Sally, Luke se rend dans le quartier chinois, décor d’un probable règlement de compte entre mafias. Mais c’est en fait d’une véritable bataille rangée dont il va être le témoin. Ce qui donne lieu, en termes de réalisation, à une amusante mise en abime qui voit Buster Keaton filmer pour la MGM Luke Shannon tournant pour la MGM. Point de vue, mouvements de caméras, effets spéciaux…notre reporter profite de l’immersion au cœur de la guerre des gangs pour réaliser quasi instinctivement le film parfait, réinventant les procédés cinématographiques in situ. Quitte à tordre le cou à la réalité pour qu’elle soit plus cinégénique. Ainsi, ce sont précisément les fonctions de l’image et de la mise en scène qui sont questionnées en filigrane dans l’Opérateur. Jusqu’à l’ultime scène, aussi efficace sur ce qu’elle dit du pouvoir du cinéma que sur l’émotion qu’elle fait naitre chez le spectateur.
Un chef-d’œuvre qui boucle magnifiquement l’âge d’or du cinéma muet.
Critique à retrouver sur le Mag du Ciné