L'Ordre et la Morale par Le Blog Du Cinéma
L'ordre et la morale vient confirmer une nouvelle tendance dans le cinéma français cette année, après L'Assaut ou Omar m'a tuer, celle d'enfin regarder son histoire (récente ou pas) en face et de la porter à l'écran, comme sait si bien le faire le cinéma américain (une qualité que même ses détracteurs lui reconnaissent). C'est d'autant plus à souligner quand l'épisode traité est politico-militaire, dans un pays qui a censuré Les sentiers de la gloire ou La bataille d'Alger jusque dans les années 70 !
En plus de le réaliser, Mathieu Kassovitz coproduit, coscénarise, co-monte et co-joue ce film qui marque son retour au premier plan. Après être parti pisser à Hollywood (expression utilisée par Jeunet à l'époque d'Alien 4) et s'être surtout pissé sur les pieds (tant Gothika et Babylon A.D. étaient des films mis en pilotage automatique par leurs producteurs et gâchant son talent), il revient avec les pleins pouvoirs chez nous. Ou presque, le tournage ayant eu lieu en Polynésie française. Une façon d'être à la fois en France et loin d'ici, peut-être pas due au hasard.
Initialement prévue sur place, en Nouvelle-Calédonie, la production a été contrainte de se délocaliser suite aux pressions subies près des lieux du drame. Elle a ensuite perdu le soutien de l'armée française et il a fallu construire des hélicoptères en bois pour pallier à cette défection (rassurez-vous, l'illusion est parfaite à l'écran). Des difficultés qui laissaient craindre que Kassovitz, suite à ses déboires américains, devienne définitivement un cinéaste maudit aux projets inaboutis, une sorte de Terry Gilliam français. Crainte renforcée par la non-sélection au dernier festival de Cannes sur laquelle il avait beaucoup misé. Au vu du résultat, tout cela est balayé et la pertinence du film en sort renforcée : le contexte montre que les tiraillements entre militaires (gendarmerie contre armée), les divergences de points de vue entre Kanaks et la guéguerre entre gauche et droite en politique sont toujours bien présentes. « Le film arrive trop tôt », déclarent encore certains gendarmes en poste sur l'île, plus de vingt ans après !
Côté casting, finie la galerie de seconds rôles qui l'accompagnaient à ses débuts (Levantal en tête) pour aller chercher des acteurs estampillés « qualité France » qu'on n'aurait pas forcément imaginés chez lui (Testud, Torreton). Une nouvelle orientation pour son cinéma ? Manquerait plus qu'il aille aux César ! Pour les Kanaks, il a bien évidemment fait appel à des gens du cru, poussant le réalisme (ou le vice ?) jusqu'à faire jouer un des preneurs d'otages par son propre fils. Le rôle principal, celui du capitaine Legorjus par lequel l'histoire est racontée (ce qui alimentera les reproches d'impartialité mais c'est aussi ce qu'on appelle un point de vue), échoit à un acteur qui a l'immense avantage d'être disponible pour tous les films de Mathieu Kassovitz : lui-même. Deuxième avantage considérable, il se trouve être le meilleur acteur de (au moins) sa génération (pour toute réclamation, laissez un commentaire plus bas). Il brille encore ici dans un rôle kassovitzien par excellence : celui du mec submergé par ses états d'âmes au moment d'accomplir un acte grave (souvenez-vous d'Assassin(s), Amen ou Munich).
Restons à Munich, parfait symbole de la « méthode Kasso » qui porte enfin ses fruits : jouer (en feignant de ne pas aimer ça) dans les films de ses réalisateurs favoris pour pouvoir les observer à l'œuvre et au plus près. On ne pourra donc s'empêcher de penser à Spielberg (le grand cinéaste de Munich, donc, pas l'escroc d'Indiana Jones 4) ou Costa-Gavras devant ce long métrage tendu, à la mise en scène lente mais pour être plus classieuse (et inventive, en témoigne le flashback virtuose sur l'attaque originelle du commissariat). Après près de deux heures à suivre le capitaine Legorjus dans ses moindres faits et gestes, parfois de dos quand il va rencontrer des hauts responsables, comme pour mieux montrer son isolement face à l'implacable machine politique et alors qu'on connait la fin de l'histoire depuis le début, on se dit qu'il a intérêt à le réussir, ce putain d'assaut ! Histoire de laisser une impression forte une fois que le générique de fin défile. Eh bien, oui, il est réussi et suffisamment immersif pour donner l'impression que les balles sifflent au-dessus de nos têtes dans la jungle (un futur standard pour home cinema). Toutes les négociations passées et inabouties donnent alors un surplus de profondeur et d'ambigüité au héros, qui donne l'assaut à reculons car sa morale l'empêche d'obéir aveuglément à l'ordre donné par l'état-major, qui veut rétablir l'ordre et la morale.
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