Jean Rivière est un grand professeur, chirurgien, directeur d'une clinique pour patients ayant les moyens de bouffer du caviar entre deux opérations. Il a aussi une belle maison, une belle voiture, une belle femme, une fille qui joue bien du piano et une maîtresse avec une paire de seins à donner envie de croire en tous les saints.
Bref, c'est un homme comblé et heureux (en apparence tout du moins, parce que allez savoir ce que ressentent vraiment les gens).
Un soir qu'il s'apprête pour aller s'emmerder au théâtre avec sa femme légitime, il reçoit un coup de téléphone lui annonçant sa mort prochaine. Sur le moment il croit à une connerie, à une blague, ou à l'erreur d'un connard expéditif fâché de ne jamais réussir à joindre la boucherie Sanzot. Le problème c'est que le lendemain il manque de se faire renverser par une bagnole. La voix au téléphone précise sa menace. Apparemment, le professeur Rivière aurait tué quelqu'un et il va devoir payer de sa vie pour son crime…
Personnellement, je trouve le postulat de départ plutôt intéressant. En plus, c'est du Simenon donc on sait très bien que derrière l'intrigue (en général secondaire) se cache quelque chose de bien plus important qui est LE personnage. Et quand on a un peu tâté de l'œuvre du maître (ce qui est mon cas), on a appris à apprendre que le personnage qui a réussi sa vie (toujours en apparence) l'a - souvent - complètement ratée (c'est tonton Georges qui le dit).
Quand on voit la bobine de dimanche de pluie que tire Delon au début du film, on est en droit de penser, qu'effectivement, le professeur Jean Rivière est arrivé à un âge où on regarde sa réussite et son compte en banque en se demandant : "à quoi bon toute cette fortune et toute cette reconnaissance ? Oh, mais dis donc, est-ce que je n'aurais pas un peu une vie de con, moi, finalement ?".
Delon étant un homme qui a ce qu'on appelle "réussi", et se trouvant lui-même à l'heure du bilan au moment où il tourne ce film, on se frotte les mains en s'attendant à assister à une magnifique introspection.
D'autant que Jacques Deray est le réalisateur qui connaît le mieux la star puisque "L'ours en peluche" est leur neuvième collaboration (c'est également la dernière), et il ne fait aucun doute qu'il aura su mettre le fauve en confiance afin que celui-ci nous offre une mise à nu comme il ne l'a plus fait depuis… Oh là là, ça ne nous rajeunit pas !
Malheureusement, les premières minutes ne tiennent pas les promesses qu'on s'est bêtement fait tout seul !
Il n'y a que la lassitude qui parvient à tirer son épingle du jeu de ce mauvais polar qui n'en est même pas un (forcément, puisque c'est du Simenon).
Delon, c'est flagrant, n'a plus envie. Plus envie de quoi ? De cinéma, manifestement. La décision de dire "stop" il la prendra dix plus tard. Dix ans trop tard diront les mauvaises langues. Peut-être. Mais c'est sûrement difficile quand on a commencé en 1957, et qu'on tient le haut de l'affiche depuis 1960, de s'avouer en 1994 qu'il faut changer d'orientation professionnelle.
Delon, pour moi, n'a commis qu'une seule erreur dans sa carrière. Celle de ne pas accepter de vieillir. Ah putain ! S'il avait, à l'instar de Gabin et Signoret (que pourtant il admirait tant), compris qu'en acceptant le passage des ans, des tas d'autres rôles allaient s'offrir à sa légende. Que des tas de réalisateurs et réalisatrices allaient pouvoir penser à lui. Que le seul risque qu'il prenait n'était pas de perdre son public mais d'en être aimé davantage. Et qui sait si parmi les autres, les "anti", certains n'auraient pas cédé à l'admiration ?
Pourtant, deux ans avant "L'ours en peluche", il avait amorcé un virage. "Le retour de Casanova" d'Édouard Niermans où il incarne un Casanova sur le retour.
Lui, Delon, acceptant de jouer un vieux beau qui ne séduit plus que des femmes sans âges puisque incapable d'inspirer autre chose que du dégoût à une beauté de 20 ans.
Oui, il a osé faire ça et de belles manières encore ! Un jour, d'ailleurs, il faudra réhabiliter ce film.
Le problème c'est que "Le retour de Casanova" fait partie des échecs quand on compte à voix haute le nombre d'entrées en salle.
Livrer une performance bien plus intime qu'il n'y paraît et qu'on ne remarque pas, Delon, ça le fait fuir. Il se souvient que Monsieur Klein ne lui a pas apporté les ovations et récompenses qu'il attendait.
Alors dans "L'ours en peluche" (qu'il a dû accepter parce que Deray, parce que Simenon, et parce qu'il fallait bien faire un autre film), il se présente au bord de la piscine mais réclame une bouée juste avant de plonger. Après tout, il est Delon. Il a le droit de tout demander. Même une bouée.
Et Deray n'a sûrement pas pu lui dire : "non Alain, pas cette fois. Cette fois tu vas nous offrir Rocco sans ses frères avec trente ans de plus dans la gueule. La future silhouette de Fabio Montale, tu la laisses au placard".
Pas facile de balancer ses quatre vérités à un fauve. Le sens du poil c'est pas fait pour les chiens. Ou plutôt si, c'est fait pour les bons toutous. Les acteurs qui ont conquit le public sur plusieurs décennies sont d'une autre espèce.
Comme disait Henri Verneuil à propos de Fernandel : "que vouliez-vous que je dise à Fernand ? Qu'il ne devait plus faire de grimaces ? Pendant des années il a rempli les salles en faisant des grimaces !".
Delon n'est donc pas Rivière. C'est Delon qui fait son Delon en errant dans les rues, dans les cafés, sur les quais, les mains bien enfoncées dans les poches de son Loden. Comme jadis il le faisait dans "Le Samouraï" ou dans "Le professeur". Au détail près (qui fait toute la différence), qu'en 1994 Delon n'est plus comme en 1967 ou en 1972 un acteur qui joue. Non, il est devenu un acteur qui ne veut plus jouer. Il veut juste être fidèle à ce qu'il croit être sa légende.
Et le film se poursuit, il dégouline, avance comme il peut, sans rythme.
Rivière n'est pas flic, mais il cherche, il enquête. Qui était cette personne dont on lui reproche la mort ?
L'intrigue policière est faible mais encore une fois c'est normal puisque chez Simenon elle n'est qu'un prétexte. Quand comprendra-t-on que Simenon n'écrivait pas, à l'exception de quelques "Maigret", d'histoires policières ?
Les acteurs italiens (coproduction oblige) sont mauvais comme des cochons. Ce n'est pas de leur faute, c'est surtout que le doublage semble avoir été fait par un fan de "Amour, gloire et beauté".
Dans la scène de la discothèque il y a une musique impossible dont le volume baisse opportunément quand les acteurs parlent.
Ce sont des détails mais ils s'additionnent pour donner un résultat particulièrement décevant.
Ça aurait pu être un film sur lui, mais Alain n'était plus au rendez-vous.
Malheureusement, il ne le serait plus jamais.
Derrière, il y aura encore le film de BHL et le pire du pire d'Astérix, entre autres.
Alors que dire de Delon ?
Rien.
Juste regarder les bons films afin que la magie demeure éternelle.