La fin du ouest terne.
Le Western semblait à tout jamais condamné. Oh, pas à disparaitre, puisqu'il ne cesse de renaitre, certes pas comme un genre qui produisit entre 50 et 100 productions par an à son apogée, mais de manière sporadique, à la faveur d'un réalisateur nostalgique ou d'un autre, revivaliste. Non, sa condamnation concernait le ton qu'il semblait devoir endosser. Tous les retours remarqués du genre, depuis un certain film d'Eastwood en 1992, se devaient de revêtir un caractère impitoyablement crépusculaire. Paradoxe d'un genre rongé par sa codification, et devant en subir une de plus: hors du crépuscule, point de perspective d'aube renaissante.
De ce point de vue, les frères Coen prennent un certain nombre de contre-pieds jouissifs: chez eux cette fois, le film de cow-boy se fait coloré, inventif, et à la marge bienveillante de la parodie.
Le passage de l'idée d'une série à celle d'un film peut à mon sens parfaitement s'expliquer par la liberté que procure le format d'un long métrage: les histoires peuvent être de formats variables, et adaptés à la seule contrainte du récit. Dans ce contexte créatif, Joel et Ethan peuvent donner libre cours à leur génie narratif, qui peut épouser presque autant de contours qu'il y a de "nouvelles".
Car c'est vrai, on peut déceler du Mann, du Wellman ou du Ford dans tel ou tel sketchs, mais il me semble que l'hommage principal se situe plutôt du côté de la littérature, en se tournant vers les paysages superbes d'un O. Henry. Il y a dans certains passages quelque chose du maitre de la nouvelle (et du far-ouest), dans cette façon qu'a le film d'accompagner ses personnages avec bienveillance malgré les tourments presque toujours cruels du destin. Cette filiation est particulièrement évidente pour the gal who got rattled. Des liens avec d'autres auteurs (Stewart Edward White et surtout plus directement Jack London pour All gold canyon) sont même évoqués. Et ce n'est sans doute pas pour rien que le film se présente sous la forme d'un recueil littéraire.
Glissements progressifs du "play, sir"
Une fois le générique de fin entamé, l'impression d'avoir assisté à une série de vignettes disparates s'estompe rapidement, et il n'est pas surprenant de rapidement recoller les morceaux. On passe de la farce burlesque à la farce macabre (parce que le plaisir de la comédie reste trop fort), mais non sans avoir entre temps et progressivement quitté le plaisir du détournement féroce des codes vers des rives plus naturalistes et sombres.
Si la fortune des protagonistes se montre rarement clémente ou heureuse, le regard des Coen est, comme toujours, emprunt de cette affection sincère qu'ils entretiennent avec les losers magnifiques, leurs personnages de prédilection. Buster Scruggs nous fait bien rire avant de subir les foudres d'une sentence biblique célèbre. Le braqueur de banque nous rappelle qu'il est souvent impossible d'échapper à son destin. L'impresario est là pour souligner que les relations humaines ou le désir d'élévation par l'art ne pèsent pas bien lourd lorsqu'il s'agit d'assurer sa subsistance, pourtant faite de repas sous la neige et d'amours tarifés. Et ainsi de suite, jusqu'à cette allégorie finale à la lisère du fantastique dans laquelle aucun des intervenants n'apparait comme une marionnette liée par des ficelles de la comédie: chacun a un bout de steak à défendre et la fait avec honneur, avant d'être invités à accompagner les croques-mitaines jusqu'à leur destination finale (superbe performance de Jonjo O'Neill) au grès de leur humeur ou surprenant courage.
Lorsque le propos se fait plus sec et aride, ce dernier ne lâche cependant pas l'idée d'un sort funeste et sardonique. Chez les frangins écrivains, on ne peut jamais totalement se départir d'une condition humaine emprunte d'une intolérable cruauté.
Et qui dit nouvelles, dit chute. Elles sont nombreuses, et souvent inattendues. Il y a bien sûr celles des histoires, qui court-circuitent parfois salutairement des boucles narratives qui tendaient à l'empêtrement, il y a celles des chevaux qui rencontrent avec amertume les galeries souterraines des chiens de prairie, et celle, enfin, de destins fantasmés ou ardemment espérés, mais qui jamais ne se présenteront comme prévus ou voulus (rejoignant l'aphorisme Lennonien implacable: le vie, c'est ce truc qui passe pendant qu'on est occupé à faire des projets).
Toutes les images de l'ouest sauvage sont réunies dans un grand mixer jubilatoire, pour nous servir un repas de bivouac fumant ou rien ne manque: indiens, trappeurs, chercheurs d'or, braqueurs et saltimbanques, pionniers et fines gâchettes adeptes du duel. Un vrai barbier de l'ouest adepte de cinéma vous le dira: pour accompagner la chute des chevaux, rien de vaut un bon champs de poings pelliculaire.
Heeee ha !