Un univers réaliste, bien loin de nos samouraïs, où notre imagination pouvait combler la particularité du cinéma japonais à croiser ses ambiances, entre fiction, contes et vieilles légendes, surréalisme et héroïsme parfois surprenants. Shōhei Imamura nous dresse presque, sans spectacle et sans mise en scène théâtrale, un documentaire de mœurs du Japon médiéval dont on se méfiera, même si les japonais aime à traiter de leur histoire. Tourné en décors naturels, aux acteurs plus vrais que nature, la triste condition de l'homme, encore, nous ait donnée à voir dans toute sa cruauté.
Beauté des images liée à la nature et sens du détail se heurtent à la violence sourde, retranscrite par une perte de luminosité, et une photographie souvent sombre, ne mettant que rarement en valeur son environnement et ses personnages, accentuant même l'aspect primitif et incontrôlé de l'homme par un personnage arriéré, seulement régit par ses bas instincts. Le rapport à l'odieux s'invite constamment comme image intrinsèque de l'homme. Que ce soit les nouveaux nés supprimés, la vente des petites filles, la zoophilie ou encore les viols acceptés, tout autant d'actions montrées sans complaisance mais sans jugement non plus, d'une grande rudesse et où la tentative du cinéaste d'insérer dans son univers délétère quelques arrêts humoristiques ou ironiques aura du mal à nous faire respirer. Dans son rapport à l'invisible, Imamura tente aussi quelques envolées oniriques, pour se rapprocher des dieux avec la destinée de ce père disparu mystérieusement, mais échoue à nous transporter vers un univers fantasmatique, tant la première partie est éprouvante dans sa longueur.
Nous suivons une communauté en autarcie, où la survie suit le cycle des saisons, et de souligner que l'homme fait partie d'un environnement qu'il ne maîtrise pas. Imamura s'attache à sa passion de l'entomologie. Ici, l’homme partage la même histoire naturelle que celle des animaux et le cinéaste d'insérer en gros plans le fourmillement de la nature, insectes et autres aigles se servant de la pitance des hommes, accouplements délicats ou mortifères, conjugués aux comportements des humains dans leurs relations sexuelles ou leurs désirs, comme un pis-aller à l'horreur ambiante, et qui vient se heurter à la dignité de tout un clan.
Cet aspect sera adouci par le personnage de Orin (Sumiko Sakamoto) qui doit mourir et laisser la place aux plus jeunes leur réservant d'avoir une bouche de moins à nourrir. Elle accepte sa condition avec bonheur, révélant ainsi son rôle social, pilier de la famille, s'attachant à régler ce qui doit l'être avant son départ pour le rite funéraire traditionnel : gravir le mont Narayama sur les épaules de Tatsuhei (Ken Ogata) son fils aîné. Mais Orin n'hésitera pas non plus à prendre les décisions qui s'imposent (?) à la survie de sa famille, le clan familial se joint alors au reste de la communauté lorsque celle-ci est mise en danger. Le vol commis par une famille, donnera lieu à une exécution expéditive sans retour. D'un voleur toute la descendance doit être éradiquée...Cette scène particulière est d'autant plus marquante que l'on attendra un revirement ou un sursaut d'humanisme qui ne viendront pas...
Nous attendons donc cette ballade avec impatience, seul instant hors du temps entre brouillard et silence, dans le calme et la nostalgie d'une relation privilégiée qui aura été perdue et retrouvée, entre la mère et le fils, pour un dernier adieu poignant et fort d'amour.
C'est la malédiction de Tatsuhei régit par les comportements collectifs, qui marque le métrage, seul personnage en bute avec les traditions, et qui montrera toute son impuissance à lutter, notamment lors de la vision d'un fils du village ne pouvant se défaire de son père et qui le jettera attaché du haut de la falaise avant de fuir vers son village, révélant sa culpabilité face à un père qui ne veut pas mourir. Ou encore plus subtilement, la dernière scène où Tatsuhei regardera les vêtements de sa mère déjà portées par les brus. Orin déjà oubliée.
Il n'en reste pas moins un film puissant sur la désespérance qui atteint par son final une certaine plénitude.