Il y a dans ce titre l’idée d’un ordre dans lequel s’immisce un désordre. La bande correspond au désordonné d’une communauté, symbolisé ici par ces scènes de théâtre où le groupe se disloque, s’éparpille, quelqu’un joue quand un autre regarde, les rôles changent, s’inversent, il y a moins de fesses que le nombre de sièges libres. Mais il y a aussi cette maison de banlieue parisienne, collocation de quatre jeunes femmes, en pleine modification puisque l’une d’entre elles, quand le film commence, cède la place à une autre. Collocation comme afflux de corps, croisements, on se parle, on s’évite, on se connaît par cœur ou le contraire, une bande, un désordre rangé. Le chiffre quatre du titre représente à lui seul une certaine ténacité, quelque chose d’ordonné, de déjà tissé, d’intouchable. Quatre. Pas une de plus, pas une de moins.
De ce changement – le départ de Cécile, l’arrivée de Lucia – naît un sentiment nouveau, moins la gêne d’une page qui se tourne – le groupe semble aussi à l’aise après qu’avant – qu’un mystère inattendu. Un mystère sous forme de secrets à percer, qui ne concerne pas la petite nouvelle – ce qu’il est coutume de voir au cinéma, l’immersion d’un corps étranger, dans les films de genre essentiellement – mais bien celle qui laisse sa place. Un désordre nouveau tente de se frayer un chemin. Un désordre qui va perturber le bon fonctionnement de la maison. Il est provoqué par l’arrivée d’un homme dans la vie de ces femmes. On pourrait tout aussi bien dire qu’il est provoqué par l’homme, d’une manière générale, puisqu’il y en aura deux, un qui multipliera ses présences, inquiétant, indiscernable, un autre que l’on ne verra jamais, pas directement en tout cas.
Cet homme mystérieux rencontre les femmes de la maison, une par une, sous une appellation différente à chaque fois. On n’en saura pas plus qu’elles, excepté qu’il est louche, puisqu’on l’entend passer un coup de fil où il y évoque son intrusion dans la maison comme un Graal tant convoité. Qui est-il ? Flic ou voyou, on ne sait pas vraiment. Il est tout. Il est rien – il est un statut, un métier, un ordre, il n’est pas quelqu’un. Quand il rencontrera Anna et qu’elle lui demandera si elle est sensée le connaître, il lui répondra que tout le monde le connaît, ou personne. Il est conscient de ce qu’il est. Mais le mystère subsiste. Il déambule avec une sérénité sympathique et une fausse nonchalance agaçante éveillant peu à peu le doute des femmes face à cette rencontre singulière. Dès l’instant qu’elles effectueront un rapprochement, découvrant la supercherie de ce même inconnu aux multiples appellations – ‘il est plutôt beau, les yeux bleus, un grand nez, une gueule quoi !’ comme elles le décrivent à plusieurs reprises – le film va alors embrayer ailleurs, empruntant un chemin encore plus sinueux, comme souvent chez Rivette.
Le mystère intervient alors autour d’une recherche. Des faux papiers. Une œuvre d’art. Puis un simple petit objet. Toutes les pistes sont brouillées. C’est une clé qui apparaîtra d’une cheminée. Apparue, littéralement. Et l’univers sonore crée l’étrangeté, comme si une force fantastique s’immisçait dans le quotidien. Lucia, la nouvelle, invoque les esprits et découvre le trésor tant convoité. Entre temps Claude filera Cécile, l’amie de scène et ancienne colocataire, qui laisse entrevoir une grande tristesse ces derniers temps, présente mais complètement absente, que ce soit dans les cours de théâtre comme dans les entrevues au bistrot du coin. Cécile se jettera dans les bras d’un homme sous les yeux de Claude qui l’avait suivie, puis elle disparaîtra. On ne sait si le mystère s’éclaircit ou s’il est agrémenté d’une donnée supplémentaire. Car il y a aussi ces cours en filigrane, qui occupent une place importante dans le film, avec ces jeunes femmes qui avouent de moins en moins comprendre les indications offertes par leur professeur, lucide et intransigeante, qui semble elle aussi saisie par autre chose, parfois un peu ailleurs, elle paraît cacher elle aussi un lourd secret.
Et tout est affaire de secrets dans La bande des quatre. Lourds secrets, secrets futiles. On apprendra par exemple le temps d’une séquence d’apparence anodine – pour l’évolution du récit – que le vrai prénom d’Anna est Laura. Que ce prénom de substitution elle l’emprunte à cette sœur disparue il y a quelques années, on se doute que cela remonte avant son entrée dans la collocation car son amie n’est pas au courant. Ça ne fait pas avancer le film, c’est une scène sans suite, mais c’est dans l’esprit du film. Les secrets sont aussi des confidences, comme cette messe basse dans le jardin, petite allusion à l’arrivée prochaine d’un enfant, dont on peut penser que les autres amies n’en savent rien. Le film fourmille de petites choses comme cela, il prend le temps de s’intéresser à ses personnages, aux situations si bien que l’on sort de là en ayant l’impression d’avoir déjà croisé ces femmes, de connaître beaucoup d’elles, des problèmes conjugaux d’Anna aux interrogations sur sa sexualité de Claude etc.
Constamment construit dans un double espace vital, le film oscille par de brefs mouvements automobiles ou ferroviaires, généralement nocturnes, simplement en guise de transition, entre cette maison ordonnée où naîtra le désordre et cette pièce de théâtre désordonnée où il faudra pour chacune des protagonistes y trouver un tempo selon un ordre précis. Et donc, nous avons aussi le droit à des instants extraordinaires de groupes, via les répétitions ou les moments de vie en communauté. Des femmes qui se donnent à corps perdus dans cette passion commune, qui débusque en elle une intensité incroyable, une émotion qu’elles ne retrouvent sans doute nulle part, ces instants qui on le devine leur permettent de tenir. Rivette ne montre d’ailleurs rien d’autre de leur vie. Ni leur travail, à aucun moment, ni leur relations (familiales, amicales, amoureuses) en dehors de la communauté. Dans cette maison rien de plus que ces femmes qui se croisent, discutent au petit déjeuner, dans le jardin ou en pleine nuit parce que les rats du grenier empêchent l’une d’elles de dormir. C’est à la fois drôle, posé, très calme, jamais étouffant.