(Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs" : Cultural Mind)
La première surprise de cette pépite bien trop méconnue est son choix esthétique : réaliser en 1973 un film en noir et blanc se situant durant la grande dépression a quelque chose de délicieusement anachronique, en totale adéquation avec le sujet. Le duo forcé entre un escroc, Moses, et la jeune fille de 9 ans d’une ancienne conquête qui vient de mourir recèle tous les éléments insolites pour nourrir un scénario original. Ce qui frappe, c’est la liberté de ton : la demoiselle fume, jouit d’une répartie dévastatrice et va considérablement améliorer les arnaques de son chauffeur qui va se voir contraint de partager les bénéfices.
Le film est avant tout un duo d’acteurs, Ryan O’Neal, pétillant d’astuce et de roublardise, l’année précédent Barry Lyndon, et sa propre fille avec qui il partage des traits qui laissent supposer qu’il pourrait être son père. Leur premier face à face dans un café, brillamment écrit, tout entier fondé sur la répétition (lui : « Eat your Coney Island », elle, « I want my 200 dollars ») met les personnages à égalité dans un échange très proche du screwball. La complicité qui s’en suit aura raison des veuves, des bootleggers, des flics et même des prétentions de Moses à escorter une plantureuse danseuse.
Au charme du contexte des années 30 s’ajoute l’accent du sud, effronté et trainant, et la galerie de personnages secondaires. Addie, sorte de Zazie rétro, est de tous les plans, et supplante un monde d’adultes dont elle a très vite compris les ressorts. Avec la même malice jubilatoire que dans O’Brother des frères Coen, le rythme est échevelé, la mise en scène est nerveuse, àjoue des zooms arrières ou avant pour souligner ses effets comiques.
Pétillant, savoureux, enivrant, Paper Moon a tout du champagne ; celui-ci est d’autant plus prestigieux que sa cuvée reste inconnue du plus grand nombre, ce qu’il faudrait réparer au plus vite.