Merci pour ce moment (de haine souveraine et blanchie)

L'élection de François Hollande sert simplement d'ambiance de fond à ce film aux intentions pour le moins floues, sinon débraillé et content avec ça. Plutôt que s'intéresser à la politique il préfère un focus sur l'infiniment trivial. Tous les personnages sont piteux ou méprisables, Macaigne rend l'affaire un peu drôle – un emmerdeur apporte forcément de l'oxygène dans cette ronde de baltringues et de gros nases. Un des pires trucs avec ces gens est leur manie de discutailler perpétuellement en vain, de résister mollement mais lourdement lorsqu'on leur donne une consigne – qu'on leur demande de laisser une place réservée, ou au baby-sitter de garder dehors le père recalé ; il faut que leur petite humeur, leur faiblesse ou leur désordre caractériel vienne chambouler l'ordre.


L'apparence documentaire sauve le film de l'inanité absolue et pourtant nous y plonge irrémédiablement ; la réalité d'une foule et des individus est retransmise avec une justesse rare, renforcée par le manque de perspective et le laisser-aller complaisant – cette Bataille est une expérience de fonds de chiottes, mais de ça la réalité est pleine (et les efforts artistiques l'occultent ou le tronquent presque systématiquement). À son meilleur, c'est-à-dire son pire un peu enjoué, le film se rapproche de Strip-Tease ; c'est le plus flagrant lors des retrouvailles nocturnes, avec le futur avocat totalement à la ramasse au milieu du résidus de couple. Le compagnon actuel de la journaliste est un remarquable exemplaire de benêt imbuvable : typiquement un de ces châtrés, amoureux des enfants, respectueux jusqu'à l'écoeurement du féminin, servile en toutes circonstances ; un immonde gentil pas loin du pe**phile en germe socialement passe-partout. Ses courbettes sont une façon de ne pas se retirer et voler un semblant de vertu et de dignité – et même de se faire passer pour 'utile' ou 'agréable' alors que le besoin biologique d'écarter un tel lourdaud 'bien sous tous rapports' de son chemin inondera chaque être encore un peu sain ou vivace. En face, l'étudiant en droit est relativement tolérable car comme il est présent malgré lui et aimerait rester dans sa cave plutôt que s'impliquer, ses justifications ne passent pas le cadre de la bienséance ou de la tentative désespérée de combler le malaise – et la politesse n'est pas un crime déguisé, contrairement à la 'bonté' des mous collants.


Malgré sa préférence pour la misère du quotidien, la vulgarité de chaque instant et la bêtise brute des situations, le film a bien un intérêt politique ! La victoire de l'énième roi fainéant (probablement un nihiliste repus, une sorte de notable indifférent et égoïste poussé à l'extrême) était encore fraîche. Les imbéciles du public français (une fraction majoritaire – ou à laquelle se colle faute de détermination la majorité) croyaient encore fermement au fossé pratique et idéologique crucial entre les deux adversaires, Sarkozy l'aspirant américain et Hollande la patte molle taillée en éléphant rose et rassembleur. Bien que le film soit nullement critique (il est peut-être même pleinement inconscient, il se montre en tout cas souverainement indifférent), il donne du grain à moudre aux détracteurs de ce système en général comme en particulier. Tant de haines sont titillées par ce film : celle envers la foule et ses enthousiasmes grotesques (elle a tellement envie de vivre quelque chose de grand et de fort qu'elle se jette sur les pitoyables breloques des partis ronflants en exercice) ; celle envers l'humanité contemporaine 'moyenne' (avec son centre de diffusion dans les centre-villes remplis d'ignares améliorés, mais tellement de travers, tellement pour rien, que leur laideur devient insupportable plutôt que comique comme l'était celle des autres) ; celle envers l'absence de sens critique et le sous-individualisme propret et dégénéré cimentant cette société (cette manie de croire que tout ce qu'on pense et produit est intégralement chose à soi ou redevable de soi – qui pousse cette demeurée à croire que ses laïus lors de directs sur i>télé éclairent la populace, alors qu'un présentateur météo sans le son renseigne davantage sur l'état du monde et que la pire photo archi-floutée en rapporte davantage sur les profondeurs de l'instant) ; celle envers la politique à la truelle pour consommateurs d'émotions ou d'identifications grégaires – ce qu'elle est toujours, simplement la proportion était devenue exagérée lors de cette dernière élection présidentielle encore majoritairement reliée à 'l'ancien monde' (où le connard éduqué se plaçait au-delà de cette archaïque grille droite-gauche mais l'alimentait avec ferveur par son vote et par ses réflexes devant chaque élément de débat un peu neuf ou remuant). La connerie de la 'droite' totale et normale au sens médiatique (avoir ou au moins aimer l'argent, rabrouer le changement, embrasser l'autorité traditionnelle) est mise en exergue en une phrase d'un jeune bonobo beuglant « l'argent qu'on gagne on l'a mérité » à un râleur de gauche lors d'un micro-trottoir (à quel moment de ses seize premières années cet olibrius a-t-il 'mérité' ce qu'il aurait 'gagné' ? D'où vient et où nous conduit ce 'on' – le 'libéralisme' de 'la droite' n'est donc effectivement qu'une blague ? Pourquoi tout le monde prétend parler d'Idées, de Valeurs, de Nation alors qu'il n'y a à chaque fois des gras intérêts catégoriels de franchouillards tirant la couverture vers leurs 'acquis' – au détriment de ceux des autres, illégitimes ?). La connerie miroir de gauche est moins palpable, probablement car la définition elle-même, y compris pour les édition spéciale à destination des veaux citoyens, est devenue insipide.


Le principal mystère demeure : à qui s'adresse, sciemment ou non, cette Bataille de Solférino ? S'il s'agissait d'animer un peu le dégoût chez des sujets propices, c'est une réussite remarquable mais comme accidentelle (sans volonté voire sans talent). Et ces gens-là n'auront jamais d'estime pour un tel produit, car même s'il était stylistiquement relevé il leur semblerait toujours navrant. S'il s'agit de montrer une petite aventure ressemblant à la vie et aux tracas de son public, lui plaisant pour cette raison, alors Solférino est probablement une réussite, bien plus grande – mais une fois le goût de l'authenticité flatté, il ne restera rien de cet objet inutile et hideux – que ses boursouflures, ses ratés démesurés (amateurisme de la direction d'acteurs, cacophonie défendable pour la mise en scène mais irrecevable concernant le développement), sa placidité ahurissante face à tout ce qui traverse son espace. À quoi bon pondre à l'aveugle un catalogue sur des banalités déplorables et des malentendus lamentables ? Y a-t-il inscrit à un endroit qu'il s'agit d'une tentative d'avant-garde, qu'on sache s'il faut se palper le menton à la sortie ou si tirer la chasse est permis ? Finalement ce film restera dans un coin de mémoire, pas à cause d'émotions fortes ou de saillies remarquables, mais comme une Némésis cinéphile, une épave à tirer des abîmes pour remplir les albums à propos de la stérile étrangeté, un de ces exemples d'oeuvres se frottant à la nullité sans avoir rien à y ajouter – en gagnant ironiquement son pari puisqu'effectivement il y a partout de la 'matière' et des reflets du monde à tirer, donc l'insignifiance mérite d'être mieux considérée. Bien sûr, si là-dessus aussi le film est seulement passif, d'autres portes toujours plus superficielles et irréductibles de la perception viennent d'être défoncées !


https://zogarok.wordpress.com

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le 12 déc. 2018

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