Juin 1969, Bruxelles. Les habitants du quartier des Marolles se mobilisent contre le rasage d’un bloc de maisons au profit d’une extension du palais de justice. Le temps d’une heure, on est avec eux, dans leur lutte, on embrasse leur point de vue, on descend dans la rue. On les soutient mais surtout, pour une fois, on les écoute et on les considère. Face à un gouvernement qui les tait, Pierre Manuel et Jean-Jacques Péché leur offrent un espace de parole et d’expression, une occasion d’enfin être écoutés, d’enfin être entendus. Ici, comme une promesse, on ne les interrompt pas. On les laisse parler, quitte à zoomer pour changer de valeur de plan. Couper la caméra, ça serait leur couper la parole.


Sans avoir pris la peine de dialoguer, les ministres, eux, parlent à leur place. Dans l’hebdomadaire parait un article mentionnant l’insalubrité du quartier, la crasse dans les maisons et l’inconfort des habitants. « Vous ne le saviez pas, mais lui il le sait » (dit Joseph en parlant du journaliste), il le sait sans avoir pourtant fait l’effort de franchir le seuil d’une porte, sans avoir même concerté les locataires. Passer la porte, la caméra, elle, s’en chargera. Le temps d’un plan on se retrouve de l’autre côté de la vitre, dans l’intérieur d’une dame. Le temps d’un plan on regardera la rue depuis un appartement, prenant la place de ceux qu’on observe s’accouder à leur fenêtre depuis le début de l’émission. La caméra a franchi le pas que les dirigeants ne feront jamais. Elle est physiquement devenue l’un deux, dépassant le rôle d’observateur, prenant physiquement part en la lutte.


Contre toute attente, ce cinéma me touche. Les Faits-Divers comme les Strip-Tease avaient à mes yeux la réputation de voyeurisme, connus pour leur recherche du scandale et de la moquerie. De ceux qu’il m’a pourtant été donné de voir, j’ai été étonnée de la grande humanité qui y naissait.


Lors d’un cours d’Histoire du Cinéma, une phrase avait attiré mon attention: Le documentaire c’est le « déjà là » du monde, qui n’existe pas pour nous, avec lequel il faut composer . Et ça s’applique si bien à La bataille des Marolles. Cette histoire, elle est là, ces gens aussi, leur lutte aussi, rien de tout ça n’existe pour nous, ça existe bien en dehors. Et c’est un cadeau qu’ils leur font, à Pierre Manuel et Jean-Jacques Péché, que de leur en donner l’accès. Et quel cadeau, que de les laisser composer avec leur existence, avec leur image et leur vulnérabilité.


<3

margotrondia
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le 22 juil. 2020

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