Frontalier et fan de belgitude, je me suis plongé dans ce documentaire demi-séculaire (1969) sans trop savoir sur quoi j'allais tomber (un pré-Strip-tease ? pour ceux qui pratiquent cette émission culte du service public local).
Ce fut une excellente surprise tant sur la forme que le fond.
Nous sommes donc en 1969 dans un quartier historique de l'hypercentre bruxellois (Les Marolles), encore populaire, menacé par sa "réhabilitation" (comprendre destruction) dans un mouvement de fond encore très vivace, nommé gentrification (spéculative).
Le parti-pris des documentalistes est de suivre le quotidien des riverains dans leur lutte, encore inédite, dans leur volonté d'outrepasser les décisions venant d'un en-haut aussi lointain que désincarné pour continuer à vivre chez eux "heureux et en paix".
Nous rencontrons donc plusieurs personnes pivots de cet écosystème, les habitants et leurs petits métiers, le truculent facteur (Jefke) à l'uniforme impeccable et à l'humanisme à fleur de peau mais aussi et surtout en fil rouge, cet extraordinaire vicaire (Jacques Van der Biest, récemment disparu), homme d'église en chemise et ex-ingénieur au parler vrai, moteur et meneur/coordinateur de cette révolte face à l'arbitraire des puissants.
Ce Don Camillo bruxellois qui allie, bon sens, finesse et franchise (alors qu'il a été à l'école chez les Jésuites, doux paradoxe), convoque à raison un chef-d'œuvre du film enquête, pile poil dans la même problématique, à savoir le toujours d'actualité "Main basse sur la ville", fiction avec des protagonistes inoubliables dont Carlo Fermariello (faux acteur ou architecte) et vrai syndicaliste comme on a du mal à encore les imaginer ailleurs que dans la (science)-fiction. Cette œuvre du grand et sous-estimé Francesco Rosi est à voir et revoir en parfait complément à ce docu. Des scènes se répondent.
Donc, de retour à Bruxelles, nous suivons ce quartier stigmatisé comme crasseux et insalubre (par des journalistes et autres valetailles corrompus ou complaisantes ni ayant jamais mis les pieds, forcément) se défendre civiquement et sans violence.
La fin est belle (mais surtout vraie) et l'on est heureux d'avoir passé quelques dizaines de minutes dans un monde déjà très ancien, empli de fraternité, de lien social, de guerre aux préjugés et autres "fakes news" loin des problématiques de surconsommation ou de dogmatisme le tout dans la truculence d'accents réels (et moqués) et d'une volonté de vivre ensemble, loin du clanisme, du communautarisme ou de la ghettoïsation (telle qu'elle soit).
A découvrir sans modération pour ceux qui aime les documentaires bruts et cohérents, loin des brouets édulcorés, partiels et répétitifs du vendredi soir. Le sujet est toujours d'actualité, plus que jamais face à la mainmise des puissants sur la vie et le destin des plus faibles.
Je vais donc rechercher les autres documentaires de ce duo de réa inspirés et avant tout humains et sans artifices ou compromissions. Du grand art pour une belle histoire.