Qu’on juge un peu de l’actualité du cinéma en 1937 : Renoir partage avec Duvivier le même scénariste, Spaak. Ne parvenant pas à financer La Grande Illusion, il envoie son auteur négocier avec Duvivier un échange : La Belle Equipe (un film humaniste et modeste sur le front populaire, rien ne sied mieux à Renoir) contre ce film sur des prisonniers de la Grande Guerre. La réponse de Duvivier est sans appel : qu’il garde sa Grande Illusion, tout le monde se contrefout des poilus…
L’histoire ne rendra pas justice à ce refus, et pourtant : on peut comprendre ce qui motive à ne pas lâcher son projet : un casting de rêve pour un éloge de l’amitié, des valeurs de la solidarité et du travail : avec des comédiens comme Vanel ou Gabin, l’évidence est de la partie, et force est de constater qu’elle crève l’écran. L’idée, simplissime, consiste à réunir les gagnants à la loterie autour d’un projet collectif directement en phase avec leur état d’esprit : un ginguette, pour célébrer, après travaux, la poursuite de la concorde pour des dimanches de danse et de trinque.
La quête du bonheur étant la plupart du temps confrontée à la désillusion par opposition aux fantasmes immatures du candidat, on lui confronte une valeur simple : celle de l’action et du travail.
D’une certaine façon, La Belle Equipe pourrait être comparé à cette naïveté contagieuse qu’on trouve à Hollywood dans les comédies musicales (d’ailleurs, Gabin poussera la chansonnette), voire les premiers longs métrages de Disney : on y croit, ou du moins, on a terriblement envie de laisser les doutes de côté.
Autour d’un espace concret, l’action passe par l’artisanat et le travail concret de la matière, alimentant la morale des fables les plus élémentaires, à l’image de l’adage qui clôt Candide lorsque le héros éponyme, un peu moins naïf qu’au départ, déclare qu’il faut cultiver son jardin.
Les séquences les plus réussies sont donc celles qui fédèrent toutes les croyances de la belle équipe : le bricolage, la répartition des talents au profit d’une bâtisse qui figure, à une échelle modeste, la société idéale et utopique du Front Populaire. La finesse des dialogues trouve sa finalité dans une dynamique qui structure tout le récit : d’abord, rêver dans la spontanéité, puis concrétiser et matérialiser le fruit des échanges.
Bien entendu, on ne tient pas 1h40 sur un tel canevas, et il faut bien reconnaître que les obstacles et éléments perturbateurs ne sont pas forcément convaincants, cristallisant sur les femmes tous les maux de la terre à travers des rôles caricaturaux et misogynes. De la même façon qu’on peut tout à fait apprécier le film dans le format imposé par la production en son temps (à savoir, un dénouement heureux contre l’avis de Duvivier qui voulait l’achever par un fait divers sordide), on aura tout intérêt à passer outre pour se contenter des vapeurs joyeusement enivrantes de cette ode à l’amitié, la fête et le vivre ensemble.