Jean Cocteau disait du cinéma qu’il est « l'écriture moderne dont l'encre est la lumière ». Tourné au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la ceinture serrée, 'La Belle et la Bête' en est le reflet magistral. Clairs-obscurs tranchants, jeux d'ombres aux faux airs expressionnistes, effets spéciaux à base de fumée, objets animés par des trucages parfaitement rudimentaires... Lorsqu'il revisite le conte de Madame Leprince de Beaumont en 1946, l’ex-surréaliste réinvente intégralement le langage du fantastique au cinéma et révolutionne, du même coup, les codes visuels de l’onirisme qui règnent alors sur l’imaginaire collectif. Exit les flous nébuleux et les fondus : pour la première fois sur grand écran, ce sont l’ombre et la lumière qui viennent tracer la frontière entre le réel et le merveilleux. La lumière : celle de la maison bourgeoise de la Belle (une Josette Day au décolleté plongeant, en proie à un mémorable accès de minauderie), d’une clarté voluptueuse empruntée aux tableaux de Vermeer. L’ombre : celle de la demeure enchantée de la Bête (un Jean Marais velu de la tête aux pieds et emmailloté dans un des costumes les plus fabuleux du septième art), dont l’obscurité renvoie aux gravures de Gustave Doré. Un contraste allégorique qui vient sublimer la poésie du cinéaste tout en soulignant la gravité de la fable. C’est sans doute cette candeur féérique, mêlée à sa folle intensité, qui contribue à faire de ce long métrage l’un des plus puissants de Cocteau, loin de la prodigieuse sophistication d’‘Orphée’ (1950). Peintre, poète, dramaturge, graphiste : si Cocteau a défriché tous les terrains de l'avant-garde, c'est avant tout derrière la caméra, et probablement avec 'La Belle et la Bête' plus qu'avec n'importe quel autre film, qu'il a su donner corps à ses mythes et ses rêves.