Ce conte fantastique adapté de l'oeuvre écrite en 1757 et assez méconnue en 1946 de Madame Leprince de Beaumont, reste une sorte de joyau du cinéma français un peu à part dans la production française de l'immédiate après-guerre. Conçu par Jean Cocteau, il put y déployer son talent de poète, son inspiration surréaliste et sa mythologie fascinante, celle de la Bête condamnée à la solitude et à la nuit par sa condition animale, dans son château fantasmagorique.
Ce qui surprit dans ce film, ce sont les décors conçus par Christian Bérard qui accentuent l'aspect onirique, comme ce couloir aux candélabres tenus au mur par des bras vivants. Plastiquement c'est superbe, les images sont également d'une beauté inouïe, la photo d'Henri Alekan rappelant des toiles peintes du XVIIème siècle, et des gravures de Gustave Doré. L'utilisation de la lumière dynamise l'action et participe à la transcription poétique. Les décors extérieurs ont été tournés dans le parc du château de Raray dans l'Oise, près de Senlis, l'intérêt de Cocteau pour l'insolite se manifeste dans cette majestueuse clôture cynégétique sculptée, une construction que j'ai réussi à admirer lors d'un voyage en Ile-de-France dans les années 90 ; le château a été transformé en hôtel de luxe, mais on peut voir librement les jardins et la clôture.
Les acteurs sont parfaits : Josette Day est une magnifique héroïne dans le rôle de Belle, quoiqu'un peu froide à mon goût ; on reconnait le jeune Michel Auclair dans le rôle du frère, mais celui qui retient l'attention est bien évidemment Jean Marais dans un de ses rôles les plus fabuleux, avant sa période "cape & d'épée". Son maquillage constitué d'un masque avec des crins de chevaux, durait 5 heures, mais le résultat est saisissant, sa performance extraordinaire fait ressortir toute la souffrance intérieure de la Bête condamnée à une apparence hideuse et à des instincts sauvages dont elle veut se délivrer. Les 2 autres rôles qu'il tient, sont très conventionnels.
Auteur complet, Cocteau signe avec ce grand classique du cinéma, une de ses plus belles réussites, en utilisant le réalisme de l'image comme source d'émerveillement.