La loi du marché

L'industrie du divertissement se transforme et avec elle, ses pratiques de visionnage. Les difficultés financières rencontrées dans les salles de cinéma, sur les chaînes de télévision et la loi de l'offre et de la demande font que, progressivement, le grand public se tourne vers les plates-formes VOD pour l'accessibilité et la modernité de leurs services. Si le géant Netflix règne en maître, diversifiant ses programmes et servant de tremplin aux auteurs, les entreprises concurrentes et le tout Hollywood ne souhaitent pas se faire distancer et lancent la riposte en masse.

Immédiatement, l'adversaire le plus menaçant se profile en Disney+, bras droit des branches télé/cinéma de The Walt Disney Company, assuré d'avoir à l'avance une clientèle fidèle par son nom rassembleur et identifiable à l'inverse des catalogues plus variés de Warner et Universal. Dès son jour de lancement, le système streaming frappe un grand coup avec un contenu très parlant pour les consommateurs, 3 retiennent l'attention, The Mandalorian pour Lucasfilm, High School Musical : The Musical - The Series pour Disney Channel et La Belle et le Clochard pour Disney.

La politique des remakes arrive à sa limite commerciale, les plus gros mastodontes ont pollué le marché mondial mais les suivants sur la liste n'ont pas le même potentiel de rentabilité, la privation de diffusion sur grand écran les ramène là où est leur vraie place, dans les salons pour être vite avalés et vite oubliés, à la manière de l'ancienne ère des suites DTV, Live comme animées. Même si Sean Bailey nous promet que la qualité du produit n'aura rien à envier à celle du contenu ciné. Là-dessus, la promesse est tenue. Dans la mesure où le calendrier de Disney fait peine à voir.

La Belle et le Clochard doit malheureusement subir la révision des studios pour être jugé regardable, d'actualité et non-offensant. Le sublime tableau d'époque apporté par le dessin animé se voit remplacé par une Nouvelle-Angleterre étrangement mixte, poursuivant les mensonges historiques de Disney au nom d'un besoin de diversité inapproprié, et des décors sans charme. La scène-polémique des chats siamois est modifiée pour accueillir une nouvelle chanson inaudible, la Lady coincée de 1955 est plus causante et active, ce qui amenuise grandement sa découverte du monde d'en bas et ainsi de suite.

Ne choisissant aucun parti de mise en scène, Charlie Bean se retrouve embêté quand il doit reproduire les moments cultes de l'oeuvre originale, certaines choses ne pouvant marcher qu'en animation à l'image de l'affrontement entre le Clochard et le rat où tous les superbes jeux d'éclairage sont effacés pour un combat téléfilmesque. Certains plans repris pour l'hommage perdent de leur signification et de leur impact (la fuite de Lady où la caméra s'affole ou la ville perçue de la colline ne fonctionnent plus puisque le point de vue du chien est abandonné), les humains sont davantage filmés mais sont ironiquement plus transparents, les compagnons du cocker sont purement fonctionnels et n'ont aucune alchimie et les discordances de ton sont récurrentes à cause de l'interruption de numéros chantés, surtout quand ils baignent dans une ambiance musicale jazzy.

Incompréhension de l'original ou simplification volontaire, en tous les cas, les équipes veulent à nouveau supprimer sa pureté en l'échangeant contre un manichéisme facile à faire gober aux enfants. La fourrière est maintenant représentée par un gardien un peu benêt et vilain et la Tante Sarah est une garce détestée par tout son entourage tandis que la problématique du bébé s'étale plus longuement sur la durée pour avoir un semi-enjeu. La seule vraie grosse erreur de ce remake est finalement dans la reprise de He's a Tramp. Là où Lady était auparavant salie par la vérité sur le Clochard, entourée de chiens errants la rabaissant plus bas que terre malgré eux; cette nouvelle version omet d'évoquer la nature de ce don Juan canin pour ne parler que de son côté solitaire, enlevant dans la foulée les souffrances morales les plus intéressantes de l'histoire et les interprétations qui en découlaient (viol, indignité, mépris des classes etc...).

Mais en dépit de cela, c'est peut-être la seule chose à sauver, la romance. Les scènes sont rejouées dans le même ordre mais la dynamique entre Lady et le Clochard est neuve, leurs dialogues sont réécrits, leurs tempéraments légèrement modifiés et leurs tracas différents. La femelle est satisfaite de sa vie mais ne peut oublier son aventure amoureuse (quelque chose qui aurait été mieux rendu en insistant sur son embourgeoisement) et le mâle ne croit pas en la seconde chance à cause de son expérience passée. Sans être mauvaise, Tessa Thompson n'a pas la diction ou le jardon adéquat pour le personnage, diminuant l'intérêt de son rôle. A contrario, Justin Theroux impressionne, sa voix collant à la perfection au croisé et lui donnant un caractère sympathique. C'est d'ailleurs sur lui que les effets spéciaux marchent le mieux, ses expressions étant malignes et finement réalisées. Le reste des animaux n'a pas autant de chance, l'écart entre les plans numérisés et non-retouchés étant perturbant tant les indicateurs émotionnels en sont renversés.

Ni bon, ni mauvais; ni désagréable, ni intéressant; ni détestable, ni marquant; La Belle et le Clochard est un film totalement inoffensif dont le seul mérite est de n'avoir pas détruit son histoire de base. Il coche toutes les cases du cahier de production et ne fait pas de mal à une mouche mais se digère comme une exploitation vidéo basique. Pas de quoi donner un aperçu suffisant des capacités filmiques de Disney+, cela s'évaluera sur le bilan de la première année.