Sans aucun doute son film le plus scandaleux (il faudra attendre 2001 pour que la censure britannique autorise finalement l'exploitation en salles de la version intégrale) et le plus populaire (ce fut tant un succès critique que commercial en France), La bête faisait suite au virage explicitement érotique de Walerian Borowczyk initié l'année suivante avec le déjà subversif Contes immoraux. Initialement conçu comme cinquième épisode des dits contes sous le nom "La véritable histoire de la Bête du Gévaudan", le volet fut intégré à La Bête sous la forme d'une séquence onirique désormais passée à la postérité. Mais n'allons pas trop vite.
Inspiré par la nouvelle de Prosper Mérimée, Lokis, ou l'histoire d'un comte qui lacère mortellement sa jeune épouse lors de leur nuit de noces (nouvelle qui fut adaptée par le réalisateur polonais Janusz Majewski en 1971), La Bête trouve avant tout son origine dans l'influence surréaliste buñuelienne. Détournement subversif du conte La Belle et la Bête en comédie noire irrévérencieuse, Walerian Borowczyk se joue des convenances et du « bon goût » dès les premières minutes du film par l'accouplement de deux chevaux, avec gros plans sur les parties génitales de la jument et de l'étalon. Un premier coït bestial dont Lucy sera la témoin involontaire, et qui déclenchera en elle son éveil au désir et sa quête du plaisir. Shocking !
Satire sociale anticléricale tournant en dérision à la fois les conventions de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie, des préparatifs du mariage avec en point d'orgue l'absurde dîner de fiançailles, au curé vénal (Roland Armontel) accompagné de ses deux très chers et charmants enfants de chœur, La Bête est à prendre avant tout sous l'angle de la parodie, Borowczyk jouant également avec malice avec les clichés communs de la pornographie et de l'horreur (château isolé, plans de pénétrations) ; l'incapacité du couple formé par le majordome noir (Hassane Fall) et la sœur de Mathurin (Pascale Rivault) à faire l'amour, ces derniers étant toujours dérangés par les appels de Pierre de l'Espérance, allant également dans le même sens. Provocante, l'apparition de cette bête mi-loup mi-ours dans le rêve de l'innocente Lucy, le sexe dressé éjaculant des décilitres de semence, avant de violer la belle Romilda, s'inscrit enfin dans le même registre grotesque, la musique de Scarlatti au clavecin offrant un judicieux contrepoint.
Tourné en juin 1973 dans le parc de Noisiel pour sa séquence onirique, puis d'avril à mai 1975 au Château de Nandy situé également en région parisienne, le long métrage cultive une atmosphère étrange et décalée qui toutefois dépasse le simple cadre de sa controverse. Film louant le désir féminin en opposition aux traditions patriarcales, La Bête n'est donc pas (seulement) un exercice de style déviant réussi ; ce qui n'empêcha, on s'en doute, quelques petits malins italiens (au hasard) de s'en inspirer pour produire une relecture science-fictionnelle La bestia nello spazio par Alfonso Brescia avec l'actrice finlandaise Sirpa 'Romilda' Lane.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/02/la-bete-walerian-borowczyk-1975.html