Akerman qui "adapte" Proust", ça donne envie. Et forcément, lorsqu'on est face à une réalisatrice aussi douée, ça ne peut être qu'une réussite. Le film regorge d'une atmosphère étrange, véritable transposition de l'état psychologique du personnage à la caméra. En plus le début n'est qu'une grosse référence à Vertigo, avec la scène de filature (dans des rues de Paris parfois montantes qui font penser à celles de San Francisco !), avec la scène au musée aussi, et puis surtout avec le chignon de la statue, symbole hitchcockien par excellence. Et même si l'hommage à l'auteur de Vertigo est surtout présent au commencement, par la suite on aura quand même parfois des musiques qui lui font encore forcément référence.
L'autre point fort du film est sa sensualité. Pendant une discussion, comme avec la scène du bain, ou bien carrément à l'acte, comme avec la scène du lit : ces moments regorgent d'une émotion particulière qu'il est souvent rare d'atteindre. Globalement en fait, les dialogues sont très bons. C'est très certainement parce que tout est inspiré de "La Prisonnière" de Proust, mais dès que le personnage commence à s'interroger, on voit bien que quelque chose ne va pas. Et par exemple lorsque l'on assiste à une scène où ce dernier va rendre visite à des femmes bisexuelles pour leur demander s'il est possible, dans leur cas, d'aimer autant un homme qu'une femme en ayant couché avec les deux, les dialogues sont très justes et on peut voir que les paroles de ces jeunes femmes affectent le personnage principal, qui se rend bien compte au final que son Ariane ne l'aime peut-être pas non plus tant que ça...
Donc les deux grands thèmes sont la jalousie et l'homosexualité, deux grands thèmes du livre aussi, j'imagine. Mais tout est très ambigu, on ne connaît jamais vraiment le statut exact de la relation entre Simon et Ariane, au début on pense que c'est juste un type qui la suit, puis au final on se rend compte qu'ils sont amants, et que la fille vit même chez lui. L'appartement du personnage est d'ailleurs bien souvent vide, et Ariane semble y avoir été installée plus ou moins récemment, parce qu'à plusieurs passages il est fait référence à son "ancienne vie". Mais l'autre chose très ambiguë est sans aucun doute le rapport d'Ariane aux femmes. Elle semble lui mentir, mener une double vie, coucher avec des femmes. Il y a une scène particulièrement étrange où les deux personnages sont dans la voiture du retour d'un opéra, et où Simon pose des questions à Ariane sur les évènement de l'après midi. Il lui demande donc quel est la nature de son rapport avec la chanteuse Léa, dont elle laisse entendre à Simon que cette dernière est presque une étrangère. Et pourtant, il lui fait remarquer qu'en lui disant au revoir tout à l'heure, elle avait pris un ton indiquant qu'elles étaient certainement plus que des étrangères... Il devine ensuite qu'elle s'est faite inviter à un diner, et Ariane feigne de ne pas trouver l'invitation, avant de dire qu'elle n'y serait tout de même pas allée. Bref beaucoup de scènes sont marquantes dans ce film, mais celle-ci est vraiment l'une des plus fascinantes à mon avis.
Une autre scène très réussie se situe vers la fin, après que Simon ait eu suffisamment de preuves pour se convaincre de sa double-vie apparente. Il ouvre la porte de sa chambre, trouve son amante endormie dans son lit, viens s'asseoir tout près d'elle avant de lui chuchoter sa triste découverte. Et elle, l'air de rien, se relève quelque temps plus tard en lui demandant de manière assez froide s'il souhaite qu'elle vienne le rejoindre dans sa chambre. Ce moment est réellement émouvant : on a un homme qui se rend compte de la double-vie de son amante, qui vient lui avouer qu'il sait tout, et puis on a cette femme qui se lève, et qui, en se fichant de ce qui viens d'être dit, formule une demande d'une manière quasiment robotique : c'est comme si tout ce que Simon avait dit n'avait servi à rien. C'est comme si au fond elle s'en moquait bien que son amant découvre ou non la vérité. Et c'est certainement le cas, puisqu'on se rendra compte plus tard que les deux personnages ont en fait une vision complètement différente de l'amour.
Alors à la fin les personnages veulent se quitter, puis presque au dernier moment ils décident de se redonner une chance... On a ici encore une fois quelque chose de très humain. Et le film se soldera sur une tragédie, après qu'Ariane soit devenue presque complètement froide envers Simon... Encore une fois, ce drame ne sera jamais vraiment expliqué, jamais vraiment élucidé. On ne sait pas le pourquoi, et c'est tant mieux, puisque c'est ce qui fait la force de ce final.
Une œuvre très intéressante, très complète dans les sujets qu'elle aborde, qui dit des choses très justes et qui regorge d'une atmosphère avant tout fascinante. D'ailleurs la photographie est magnifique aussi. Tout ça m'a décidemment plus que jamais donné envie de continuer l'œuvre de Proust, et par la même occasion évidemment, celle d'Akerman.