Après avoir traité sous un angle comique l'Occupation et avant de revenir à la Shoah, c'est un autre événement historique que Gérard Oury met à l'honneur dans cette comédie, Mai 68. Alors c'est plus une toile de fond que le véritable sujet de la comédie, mais ça fonctionne très bien. Oury et sa fille mettent en place une histoire qui fonctionne, et c'est une vraie bonne idée, au lieu de rester statique à Paris, d'avoir opté pour la voie du road-movie et du buddy movie, deux genres que le réalisateur maîtrise à la perfection.
L'histoire tient donc sans Mai 68, et repose avant tout sur un duo d'acteurs exceptionnel, Pierre Richard (que je n'ai jamais trouvé aussi drôle et sympathique qu'ici) et Victor Lanoux (dont j'ignorais l'existence jusque-là, mais que j'aimerais découvrir ailleurs, maintenant !). Leur numéro se déroule à merveille, mais quand, en plus, un scénario généreux leur adjoint l'immense Raymond Bussières, alors c'est la folie. On se délecte de chaque mot qui sort de la bouche de ces doux dingues, qu'il soit drôle ou pas !
Les quiproquos s'enchaînent, les MacGuffin se courent après et les gags vont bon train. On sourit et on rit tour-à-tour devant les malheurs et les pitreries de nos personnages, il ne manque que Louis de Funès pour parfaire le cocktail (le rôle de Jean-Pierre Darras lui serait d'ailleurs allé comme un gant, mais Darras est trop bon pour qu'on ait envie de le virer).
Mais le choix du road-movie se révèle particulièrement judicieux lorsque Oury et Thompson utilisent leur comédie pour dresser le portrait d'une France qui va mal. De villes en campagnes, on rencontre tous les profils, de la paysanne qui ne pense qu'à baiser dans la paille, et qui s'intéresse aux révoltes comme on s'intéresse aux nouvelles de l'étranger, à ces riches fraudeurs qui veulent fuir vers la Suisse, en passant par la bonne famille BCBG et des truands un brin fachos au grand coeur, tout est là. Dénonçant tantôt l'hypocrisie des uns, tantôt celle des autres, Gérard Oury ne rate personne, mais ne s'acharne sur personne non plus.
C'est une France paumée qu'il filme, une France défigurée, mais une France qui refuse de baisser la tête, une France désenchantée qu'il réenchante (ce merveilleux plan où le jet d'eau des CRS touche un piano et commence à faire de la musique) avec bonne humeur, sans évacuer pour autant la gravité de l'instant. On voit des choses terribles (ces vitres cassées, ces voitures brûlées et ces manifestants ou ces policiers à terre nous rappellent trop d'images plus ou moins récentes), et c'est toute la réussite du film de ne pas les rendre trop légères malgré le recours à la comédie.
Fable amorale plus qu'immorale, La Carapate est donc une joyeuse comédie - presque dramatique par moments - qui part un peu dans tous les sens, mais de manière toujours maîtrisée, où les bons sont parfois méchants, et les méchants souvent bons. Et finalement, c'est l'ordre des choses. Être pour la peine de mort ne détermine pas notre fascisme et soutenir les révoltes estudiantines ne fait pas de nous un anarchiste irrécupérable.
Ainsi, Gérard Oury sait exploiter ses idées loufoques jusqu'au bout (les scènes avec De Gaulle, c'est du génie), démontrant que même sans Louis de Funès, il sait toujours y faire et que, parfois, pour faire une bonne comédie, il suffit d'une bonne idée. Finalement, ce n'est peut-être pas de talent qu'on manque aujourd'hui, mais d'idées...