Les truies et la fureur.
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Des bandits menés par Martin (Rutger Hauer) vendant leurs services aux plus offrants, sont missionnés pour aider le seigneur Arnolfini à récupérer son château, contre bon nombre de pillages en remerciements. Floués par ce seigneur, ils mèneront les représailles et kidnapperont Agnès (Jennifer Jason Leight), la promise de Steven, fils de Arnolfini et prendront la Forteresse comme nouveau lieu de débauche.
Une revisite pour le mythe du brigand, de la princesse innocente et du prince charmant. De Martin, le guerrier charismatique et pourtant amoral, qui en présence d'Agnès évoluera et cherchera d'échapper à la fatalité ; de Steven, peu expérimenté, voire gauche, mais qui optera pour l'action - par amour ou pour sa virilité mise à mal ? -... et d'Agnès qui se révèlera bien moins innocente. Pas de héros, mais des retournements montrant bien la complexité de ces personnages plongés dans l'adversité et qui ne donne pas dans le sentimentalisme.
Période du tout début de la Renaissance où l’Europe est ravagée par la guerre, la peste, l’anarchie et la perversion. Siècle de guerres de religion et de clans de seigneurs, mais également les débuts d'une science balbutiante, et d'un clergé qui souhaite conserver ses acquis et sa richesse.
Et pour appuyer la crédulité des hommes, une pointe de superstitions (multiples signes religieux, filtre d'amour...) en opposition avec le rôle de Steven (Tom Burlinson), érudit, souhaitant mettre à profit ses connaissances tactiques. D'ailleurs, le film est parsemé de scènes mettant en jeu les inventions de Steven cherchant le moyen "adéquat", avec plus ou moins de succès... pour libérer sa belle.
Tout contribue à dénonçer le fossé entre religion et science (la scène pour un malade atteint de la peste bubonique, et la question du choix des soins, en est un exemple), l'ignorance et l'ambiguïté, et le rapport homme/femme, en mettant en exergue le pouvoir du sexe. Que ce soit par la première arme dont se servent les hommes pour asservir, le viol, ou de la prise de conscience d'Agnès et du fantasme qu'elle procure pour en user à son avantage. Un étonnant et superbe retournement par la scène violente et puissante lors du kidnapipng d'Agnès par Martin et son groupe, confère toute la modernité du propos, pour ce rôle de femme qui refuse de se soumettre. De la violence, à la mise en valeur de la femme, ou encore le rapport à la religion, par les multiples signes du destin (sous la forme de sermonts du "Cardinal", prêtre et pantin déchu à la solde de Martin). La Foi qui impose le christianisme par l’épée, en écho à notre actualité pour dénonçer le fanatisme ... Le metteur en scène n'oublie pas ses thèmes de prédilection.
Verhoeven nous offre pourtant, un palpitant récit d'aventure. Un film brutal et impressionnant où tous les plans du début jusqu'à la fin sont extrêmement esthétiques et superbement filmés. De la crasse environnante à la beauté des costumes et des coiffes, à la grâce de l'héroïne, pour contrebalançer la laideur environnante, on est pris dans le feu de l'action.
Dès les premiers plans, l'ambiance malsaine et glauque, est renforcée par les couleurs, les meurtres ou autres scènes de batailles. Des moments crus et de provocation, pas de blanc ou noir ; la frontière entre le bien et le mal n'existe pas. Verhoeven dénonçe l'être humain comme peu glorieux, des innocents pervers et pervertis et l'époque leur permettant de se révéler en véritables brutes. Hommes et femmes confondus. Au milieu de la haine, de la jalousie et des trahisons, chacun suivra son "Maître", militaire ou spirituel sans réfléchir au delà de leur propre intérêt. Ces bandits affreux, hirsutes et dégénérés, feront pourtant preuve d'humanisme les uns envers les autres, lorsque la peste ne les épargnera pas.
La caméra filme au plus près ses personnages accompagnée de la musique de Basil Poledouris, et propose aussi de très belles séquences grands angles. La mise en scène est séduisante. Quelques beaux moments avec la scène de la baignoire, de toute beauté, qui garde sa ligne ambigue, mais nous permet de souffler un peu.
L'attirance (ou pas ?) d'Agnès pour Martin et son amour pour Steven (?) conduira à la résolution et nous ballade encore sur ses réelles motivations.. Mais tous, sont suffisament duales pour que le suspense persiste. La chair passera par tous les stades, de la pureté, au sexe cru et violent, pour finir par la pourriture, où d'ailleurs Verhoeven n'hésite pas à nous parsemer son film d'images de cadavres et de bouts de chairs sanguinolents. Il appuie par la saleté, quelle soit au propre comme au figuré pour nous livrer une sombre et réaliste peinture de cette époque. Martin quant à lui, aveuglé par son nouveau statut de maître du château, et du fantasme de l’opulence finira par s'y perdre.
Paul Verhoeven retrouve son acteur fétiche Rudger Hauer et propose son premier rôle à Jennifer Jason Leight, les deux acteurs se retrouveront un an plus tard dans " HITCHER".
Entre autres acteurs, Brion James, un des répliquants Nexus, de Blade runner, est toujours aussi impressionnant.
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Créée
le 12 oct. 2016
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