Martha est à la fin de sa vie, atteinte d’un violent cancer. Elle fait naturellement le bilan, avec des flashbacks. Un bilan honnête, contrasté, mais globalement heureux. Un grand reporter, une femme forte et aventureuse mais pas à la hauteur de son rôle de mère. Peu de regrets, juste un constat honnête - peut-être que toutes les femmes n’ont pas l’instinct maternel. Peut-être que certaines sont courageuses, téméraires, mais moins habiles lorsqu’il s’agit de s’occuper d’un enfant. Martha en a connu des guerres, mais le cancer, elle choisit de ne pas l’affronter. Pas par manque de courage, mais en toute lucidité, sereinement, elle y renonce, c’est son choix. Elle aime la vie, elle aime sa vie, elle chérit ses souvenirs, elle décide de la quitter, son temps est venu.
Ingrid a une soixantaine d’années, elle emménage seule dans un appartement new-yorkais en location. Elle vient de sortir un livre. Elle fréquente un amour de jeunesse. Elle aussi a l’air heureuse, épanouie, à soixante ans, sans enfant, sans mari, sans attache. Traversée par des doutes, des angoisses, mais intègre et solide dans ses convictions.
Quand Martha lui demande si elle veut l'accompagner dans son chemin vers la mort, elle hésite, elle refuse d’abord; elle finit par accepter. Ingrid a une attitude très digne, elle porte sa croix. Une attitude presque christique, dans un film où la religion apparaît en points de croix, avec une certaine tendresse, comme avec l’histoire d’un Frère Carme plus attaché à sauver des vies, quitte à sacrifier la sienne, qu’à se préserver du péché de chair. Un homme que l’expérience de la mort, en Irak, au Sierra Leone, éclaire sur l’essentiel. Le grotesque tableau du policier fanatique qui condamne le choix de Martha rappelle, du reste, une autre réalité de la religion. Ingrid est respectueuse de la vie de son amie, de sa mort qui la chagrine, l’angoisse, face à un homme qui juge froidement, sévèrement, durement le choix d’une inconnue. Ingrid demande à Martha si elle pourra lire ses carnets de guerre de retour à New-York, bien sûr, elle ne sera plus là lui répond-t-elle. Ingrid est perturbée par le choix de Martha, elle ne l’approuve pas, ça la rend malade. Mais elle accepte son choix, mieux, elle accepte d’être avec elle et de l’accompagner.
La Chambre d’à côté c’est surtout l’histoire d’une amitié. L’avantage avec l’amitié, c’est qu’il y a de l’amour, mais qu’il y a aussi de la liberté, de ne pas se voir plusieurs années, et pourtant de garder un lien intact, de pouvoir être à la fois très attaché à ses amis, mais de ne pas dépendre d’eux comme on dépendrait d’un ou d’une épouse, d’un compagnon, d’une mère ou d’un enfant, de pouvoir accepter ce choix de fin de vie sans qu’il ne présente trop de conséquences pour soi même. Martha finit sa vie sans mari, sans amoureux, fâchée avec sa fille. Elle n’a aucun regret : elle est entourée de ses souvenirs, de ses amies, et surtout elle est très libre. Martha et Ingrid ont le point commun d’avoir choisi des carrières passionnantes, d’avoir fait le choix du travail plutôt que de la famille, de l’amour, peu courant pour des femmes de leur génération. Elles ont des conditions financières très avantageuses, fruits de leurs choix. Elles ne sont pas à un âge où il est temps de faire le bilan, mais la santé de Martha l’y contraint, elle affronte la mort sereinement, après une vie qui l’a pleinement comblée. Étrangement, en plus des grandes tragédies, d'événements marquants (comme la mort tragique du père de sa fille) des souvenirs légers, futiles, reviennent à Martha à l’article de la mort. Son aventure assez anecdotique avec Damian, par exemple. Entre douceur, légèreté, bienveillance, Almodovar dresse un portrait de la vie, de la mort, réaliste, presque joyeux, et apaisant.

tina12345
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le 18 janv. 2025

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