Un film expérimental, qui s'efforce d'adapter la chanson de Roland sans adhérer à son point de vue manichéen.
Car il faut bien le dire : ce texte, le premier poème épique conservé en ancien français, est terriblement manichéen, avec d'un côté le bon Roland, fidèle vassal du roi Charlemagne, et les Sarrasins fêlons et lâches.
Le film suit une troupe de théâtre du Bas Moyen Âge, qui donne des représentations de la Chanson le long du chemin de Saint-Jacques. On alterne donc des scènes de la vie quotidienne de la troupe et des scènes montrant les acteurs incarner leur rôle. Un Allemand, Klaus (Kinski !) joue Roland. Un troubadour/clerc joue Olivier, Thierry, un ancien bâtisseur de cathédrales, joue Ganelon. Le directeur (Kalfon) joue à la fois Charlemagne et Marsile.
La troupe croise des lépreux. Certains acteurs font commerce de chair avec des femmes légères. Un homme, exposé au pilori, obtient de partir avec eux faire le chemin de Saint-Jacques.
Première représentation. Ganelon le fourbe veut négocier, tandis que Roland veut poursuivre la guerre en Espagne pour Charlemagne. Ce dernier privilégie la négociation.
La troupe rencontre au bain un chevalier, qui a décidé d'abandonner la carrière des armes, qui le dégoûte. Puis fait halte chez un seigneur (Brialy !) inquiet des jacqueries. On voit lors du dîner de riches étoffes italiennes, petite effluve de Renaissance.
2e représentation : déconvenue de Charlemagne.
Voyage à travers une campagne dévastée par la misère. Rencontre avec une amazone de la jacquerie. Elle aide une jeune femme à accoucher. Les paysans rebelles font un bout de chemin avec la troupe. Le pays est saccagé par des seigneurs pillards.
3e représentation : Marsile, roi des Sarrazins, rassemble ses troupes. Il rencontre Ganelon, qui s'engage à attirer les Francs à Roncevaux pour les perdre, par haine de Roland. Attaqué à l'arrière-garde, ce dernier refuse de donner de l'olifant pour que le reste de l'armée poursuive son chemin. L'armée prie, et est victorieuse, avec l'aide de Dieu.
La troupe rencontre un homme qui travaillait dans les Flandres, et douche ceux qui y voient le paradis des travailleurs.
4e représentation : le combat. Roland se dit le bras de dieu, et tue bien des Sarrazins, pourtant en surnombre.
Les pillards menacent la caravane. Les paysans rebelles partent de leur côté et sont massacrés. Klaus est effaré par cette violence. Le clerc dit qu'on peut lutter contre, en aidant à la comprendre pour la dépasser.
5e représentation : les Francs se résignent au martyre. Roland sonne enfin son olifant, pour que l'on venge sa mort. Les fidèles amis meurent un à un. Blessé de flèches traîtresses, Roland meurt en demandant le salut de son âme.
Les pillards attaquent le campement. Le directeur, mortellement blessé, meurt en récitant le monologue de Roland. Klaus quitte la caravane. On apprend qu'il meurt pendu après avoir encouragé les ouvriers des filatures à la révolte.
Au niveau formel, c'est un film bien pensé, mais auquel il manque un bon réalisateur. L'étalonnage des couleurs est uni pour les séquences, mais les transitions entre chacune sont assez brutales. La lumière n'est pas toujours bien gérée, notamment la surexposition lors de scènes de sous-bois, ou de scènes de pluie. Les décors, en revanche, sont fort soignés. Les costumes sont "brechtiens" : le casque de Roland, avec un gros aigle, est un symbole outré, caricatural de pouvoir.
Il y a un sous-texte "lutte des classes" et antimilitariste dans le propos du film. Voir le clerc jouer de la flûte traversière en bottines sent nettement son après-mai 1968. C'est peut-être aussi pour ça que les acteurs parlent un peu de manière hachée, pas toujours très articulée, en faisant des pauses dramatiques. Globalement, on sent le contexte des "années de plomb".
Les acteurs sont marquants. Pas tant Klaus Kinski, finalement, que Dominique Sanda, sorte d'ange androgyne de la révolution.
La chanson de Roland est un film expérimental, bien pensé mais pas très beau, qui sent son après-mai 1968. Une curiosité, à voir pour les boulimiques de cinéma, pour le dépaysement.