Sorti à la fin des années 70, La Chasse sauvage du roi Stakh vient combler un vide dans le cinéma soviétique, celui du thriller jouant sur la frontière du fantastique. Sa réalisation sait procurer ces frissons que l’on ressent face à l’étrangeté, au bizarre.
Dès le début, le film lorgne du côté du fantastique gothique en reprenant une situation classique du genre : celle du voyageur surpris par la tempête et qui se réfugie dans un manoir isolé. Le monsieur est le Comte Beloretski est un ethnologue de la capitale (Saint Pétersbourg à l’époque où se déroule La Chasse sauvage du roi Stakh) venu étudier les contes et légendes de la campagne biélorusse. Bien entendu, le manoir est inquiétant : dépourvu de meuble, il est la propriété d’une jeune femme, Nadejda Yanovskaya, qui apparaît dès le début comme affaiblie et maladive. Ses habits noirs font même ressortir son extrême pâleur et font d’elle, quasiment, un cadavre ambulant. Son absence d’expression renforce encore cette impression.
D’ailleurs, la frontière entre la vie et la mort semble floue ici. Bien des personnages sont plus morts que vivants, et tout le monde semble porter le deuil. Même la campagne, constamment nimbée de brume, paraît figée, et les cadavres sont à moitié plantés dans le sol, comme s’ils poussaient de la terre.
Tout cela rend logique l’avertissement reçu par Beloretski à la fin du film :
« Allez vers ceux qui sont en vie, ceux qui ont faim et qui rient ».
Toute vie a quitté les personnages. Certains en accusent la maison elle-même, qui aurait « absorbé la vie » de ses habitants.
Et il y a cette cavalcade de la mort. La famille de Nadejda est victime, depuis des siècles, d’une malédiction : elle est poursuivie par une armée fantôme chevauchant à travers la plaine. Les morts violentes et mystérieuses se succèdent dans une lande marécageuse digne du Chien des Baskerville (que l’on pourrait éventuellement citer comme référence au film). Au loin passent d’énigmatiques et inquiétants chevaux montés par des formes indistinctes…
La grande force de La Chasse sauvage du roi Stakh vient d’une réalisation qui sait implanter une atmosphère inquiétante où tout devient possible. Les décors, qu’ils soient naturels ou non, sont très bien exploités. Se promenant dans le château, le protagoniste est témoin de visions étranges : Nadejda ensevelie sous des plumes blanches, un escalier qui descend dans l’eau, un spectacle macabre de marionnettes… Certaines images font penser à l’onirisme cauchemardesque d’un Lynch qui aurait fait un film pour la Hammer.
La bande son a un grand rôle aussi dans l’instauration d’une atmosphère. Bruits de cavalcades, récitations qui ressemblent à des incantations, musique angoissante… Rien n’est laissé au hasard.
Un autre détail a son importance : ce n’est que dans les ultimes secondes du film que nous savons à quelle période se déroule l’action. L’aspect intemporel renforce le côté légendaire de l’histoire. Et lorsque l’on connaît enfin la date, c’est pour se rendre compte qu’elle est hautement symbolique. Symbole du passage d’une époque à l’autre, c’une ère à l’autre. L’action se situe entre deux époques, comme il se situe entre deux mondes, entre la réalité et la légende.
Si le rythme peut paraître lent, l’ensemble donne un film énigmatique et surprenant, une œuvre qui propose un nouvel aperçu du cinéma soviétique. Une curiosité, mais aussi un bon film fantastique.
Article initialement paru sur LeMagDuCiné