Marcello au pays des merveilles
Marcello, dans un train, face à une superbe et mystérieuse nana. On sent qu'il se contient, mais on est chez Fellini, tout peut arriver, le plus vulgaire surtout.
Duel de regards à la Leone, le train traverse les tunnels de "la mort aux trousses" (cf la très bonne critique d'Electron à ce sujet www.senscritique.com/film/La_cite_des_femmes/critique/26407608), la caméra commence à devenir folle.
La tension érotique grimpe. Marcello n'en peut décidément plus. Il décide de partir à l'assaut, il la poursuit jusque dans les toilettes pour pouvoir tirer son coup en vitesse.
Echec total. Le train s'arrête en gare, la fille fait les voiles, Elle descend du train, mais pas côté quai.
Juste de l'autre côté, un coin de verdure qui débouche sur une forêt majestueuse, rappelant celle du film "Juliette des esprits". Elle commence à disparaître au loin...
Marcello est entre deux eaux : prendre le risque (excitant) de suivre le lapin blanc ?
Retourner dans le train et tirer un trait sur ces quelques minutes peu glorieuses ?
L'excitation est trop forte, en plus le train vient de repartir, alors Marcello court pour rattraper la femme de ses rêves. C'est pas bien brillant, mais c'est sacrément rigolo.
Et Marcello de s'enfoncer au pays des merveilles...
Ce qui me bluffe dans ce film étrangement oublié dans la carrière de Fellini, c'est que tout ce qu'il y fait, on l'a déjà vu des dizaines, voire des centaines de fois dans tous ses autres films...
On pourrait même le qualifier de Casanova 2... Tous ces portraits de femmes exubérantes, aux poitrines énormes, aux fesses gigantesques, aux tenues moulantes, on les a vus, revus, rerevus dans la plupart de ses films (Amarcord, Huit et demi) dans des contextes en plus parfaitement similaires (notamment par rapport aux scènes de plage)...
Et pourtant, et pourtant c'est un véritable émerveillement, il y a une exaltation créative, une folie insatiable, une magie inaltérable, et de fait un renouvellement permanent.
Le scénario est formidable, parce que 1- il n'a aucun sens 2- On se contrefout du message, ou du propos du film, puisque Fellini se fout de la gueule de tout le monde, des machos aux féministes 3- c'est le voyage d'Alice au pays des merveilles retransposé dans une série de situations délirantes totalement propres à l'univers Fellinien, on ne sait jamais ce qui va se produire, les séquences absurdes s'enchaînent, mais de manière totalement logique et cohérente dans un univers qui se tient.
Comme dans la structure narrative d'Alice, Marcello est passif et va tout subir.
Et surtout c'est d'une audace formelle rarement vue, c'est purement cinématographique dans le sens où c'est extrêmement difficile de le décrire ce film.
Je vais citer quelques scènes frappantes :
Il y a un décor hallucinant de fête foraine nocturne, comme un grand 8, où Marcello, à mesure qu'il glisse dans un tobogan interminable, revisite tous ses fantasmes, et plus précisément toutes les femmes qui l'ont marqué dans sa vie... La Gradisca, la Volpina, La Saraghina, sont remplacées par la poissonnière, l'infirmière, la cuisinière, et ça s'arrête plus... C'est totalement enivrant, le montage, la caméra qui s'envole dans les anneaux du manège pour débarquer sur une plage de studio sublimissime dans sa reconstitution, sur laquelle des enfants jouent aux voyeurs, entre autres 1001 merveilles...
Voilà, Fellini est un créateur d'images incroyables, de situations dingues et inoubliables.
On pourrait aussi citer la séquence du couloir des trophées tout en jeux de lumières et bruitages. La maison du grand macho cernée par la jungle, avec des décors quasi horrifiques rappelant les films de série B italiens. La poursuite des voitures dans la nuit campagnarde, où Marcello essaye de fuir ces gorgones qui en veulent à sa peau un peu comme dans le film "After hours" de Scorsese.
Le final, ultime retour au cirque, où après un étrange procès, Marcello se retrouve à devoir découvrir la nature de la femme idéale après avoir escaladé une échelle infinie... Comme lorsque dans l'incal, John Difool parvient à escalader le dôme pour devoir procréer avec une bien étrange créature.
Tout ça est réalisé d'une main de maître, alors certes, c'est un peu déroutant, c'est parfois un peu chiant (quelques longueurs), c'est aussi un peu lourd, mais qu'est-ce que c'est brillant et original formellement.
Ensuite on ne le souligne peut-être pas assez, mais le travail sur la bande-son, sur la musique (et pourtant Nino Rota décédé, est remplacé par Luis Bacalov) est tout à fait sidérant, avec une multiplication des pistes et des sons qui ne cessent jamais de s'enchevêtrer dans un maelstrom foisonnant. On a finalement là une explosion perpétuelle de couleurs, de sons, d'images. Et une harmonie s'en dégage.
Exaspérant, énervant, vain, vulgaire, outrancier, radotant et tellement sympa. Très noir aussi, dans la lignée de Casanova, car derrière le grotesque, derrière les excès, il ne reste pas grand chose de l'amour.