Arigatō mister Gorō
Bien sûr je n’ai rien contre les loups géants, ni les châteaux ambulants, encore moins contre les cochons-volants ou les sorcières à fort caractère. Comme tout le monde, ou presque, l’univers d’Hayao Miyazaki m’a fait rêver, Princesse Mononoké en tête, ou le Voisin Totoro pas loin. Il n’empêche que voir Gorō Miyazaki, le fiston, réaliser un film à la tonalité diamétralement opposée de ce que pouvait faire son illustre père est la première bonne surprise de cette Colline aux coquelicots. Le réalisme est certes déconcertant pour qui associe nécessairement la signature Miyasaki aux atmosphères merveilleuses, et le scénario quelque peu linéaire, il n’en reste pas moins que le film procède d’une poésie visuelle largement à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’un Ghibli digne de ce nom.
Yokohama, 1963.
La principale qualité du film en termes d’animation repose sur les décors urbains restitués par un travail graphique d’une grande précision. Un voyage dans le Japon d’après-guerre, à la veille des Jeux Olympiques de Tokyo de 1964, au cœur de cette période d’industrialisation qui transformera le bourg de pêche de Yokohama en une véritable mégapole. Avec force détails et restitutions minutieuses, le film réussit à croquer cette ville industrieuse qui, sans avoir à offrir le patrimoine historique d’un Kyoto, ou la vue sur le Mont Fuji compense par la vitalité de son activité économique. En bas, les quartiers populaires et le port, à l’atmosphère nocturne magnifiquement rendue ; sur les hauteurs, les demeures traditionnelles aux couleurs et aux lignes si caractéristiques.
Des personnages attachants
Umi a perdu son père pendant la guerre de Corée, et sa mère est partie en Amérique pour quelques mois. En attendant son retour, cette adolescente discrète mais dure au mal vit avec sa grand-mère, sa sœur et son petit frère dans une pension de famille sur les hauteurs de Yokohama. Chaque matin, en souvenir de son père, la jeune fille hisse des drapeaux à l’adresse des cargos et chalutiers qui croisent au large. Le reste du temps elle s’affaire aux diverses tâches domestiques qu’elle endosse sans broncher. Elle fait bientôt la connaissance de Shun, qui fréquente le même lycée qu’elle bien qu’il vienne des quartiers populaires en contrebas de la ville. Shun est un élève brillant, téméraire et engagé. Responsable du journal du lycée, il est devenu le porte-étendard de toutes sortes de revendications face à l’autorité du proviseur. L’histoire sentimentale qui se noue entre ces deux adolescents, même si elle n’a rien de profondément originale, est traitée avec une justesse et sensibilité.
Bâtiments en sursis
Le combat du moment de Shun, qui lui attire inimitié ou admiration dans les rangs de ses camarades, c’est la défense d’un haut lieu de la vie du bahut : le foyer, plus connu sous le nom de « Quartier latin ». Promis à une destruction imminente par les autorités administratives, cette construction à l’architecture originale abrite une faune bigarrée qui va de l’animateur diogénique du club philo aux observateurs de tâches de soleil en passant par les archéologues en herbe et autres journalistes en culottes courtes. Véritable « personnage » du film, il sert également de fil rouge et de trait d'union scénaristique entre Shun et Umi, celle-ci s'impliquant résolument dans la sauvegarde du bâtiment. Le film met ainsi en parallèle deux histoires en sursis, celle du Quartier Latin donc, symbole d’un passé que la modernisation à marche forcée entend bien faire disparaitre et celle des amours contrariés (je vous laisse en découvrir les raisons) entre Umi, la fille de la colline et Shun le garçon du port.
De la belle ouvrage et des valeurs pour un film tout à fait recommandable.
Personnages : 8/10
Scénario/histoire : 7/10
Réalisation/animation/musique (plusieurs pépites dont le célébrissime et magnifique Sukiyaki qu'on entend deux fois dans le film) : 9/10
8/10 ++