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C'est dans les années 1970 que nous transporte Thomas Vinterberg avec La Communauté, nous faisant suivre la création d'une communauté qui risque, chaque jour, d'être mise en péril par le comportement...
le 25 janv. 2017
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Comme le réalisateur de Play ou The Square, Vinterberg semble faire partie d'un certain type d'artiste scandinaves : des individualistes présomptueux, brillants et cruels, encore un peu embourbés dans le compromis avec la culture de naissance mais remplis d'amertume à son égard. Ils présentent une vision cynique et éventuellement réactionnaire de la société ici et maintenant et des relations humaines plus largement. Le tout dans un emballage propre et pesant ; des artistes bourgeois (ce n'est pas intrinsèquement mieux que des artistes prolétaires mais ça livre des garanties de dignité pour le cinéphile et les aventureux encore à l'écoute des 'critiques' parfumées) crachant dans la soupe – qu'ils servent aux autres pour se nourrir.
C'est doublement le cas avec cette Communauté sauf pour la tenue formelle (sans plus de prétexte type 'Dogme 95'). Ce qui devait donner une pièce de théâtre est devenu un film à la réalisation peu fulgurante et la photo souvent comparable à celle des feuilletons télé quotidiens produits à l'arrache. Une certaine laideur et tristesse poisseuse s'en dégage, ce vice s'il n'est pas nécessairement bienvenu est donc au moins approprié. La séance se vend comme un feel-good movie, avance sous ce masque au-dedans comme au-dehors, peut même en sembler un mélancolique à l'arrivée. Mais comme en atteste sa piteuse réception il y a maldonne. Cette communauté, la tendresse et les espoirs qu'elle peut charrier sont renvoyés à de pauvres illusions d'immatures et de pourris inoffensifs (ou indirectement toxiques). Dans La chasse, on faisait le procès des gueux comme autrefois Du silence et des ombres ; dans Festen on houspillait la famille et la complaisance envers les résidus patriarcaux.
Alors on a pu croire que l'idéal des colonies libertaires des années 1960-70 serait honoré, car il relevait d'un autre univers – éclairé, éveillé, amoureux. Éventuellement, le film pourrait exhiber, comme le font ses camarades (tel Nés en 68), l'échec malencontreux d'un bel idéal, heurté par les mauvais esprits ou, au maximum de concessions, par le principe de réalité bassement compris et entretenu socialement. Au lieu de ça on assiste à une déconfiture molle venue de l'intérieur et passivement acceptée par ses figurants (un Manson Family de basse intensité en milieu centriste) : à croire qu'ils ne sont pas là pour réaliser une utopie ni changer le monde à leur échelle ou innover dans les façons de vivre. Ils sont là pour des gains sans gloire ni vertu. Les gros besoins règnent et on ne peut s'y soustraire – quitte à valider une once de misogynie (celle de pauvres types aux sursauts déplorables mais compréhensibles) et à flatter l'individualisme 'rationnel' et assumé.
Il y a trois catégories de personnes d'après ce film : ceux qui se figurent une trajectoire romantique, ceux qui trinquent (et se répriment comme Peter), ceux qui ramassent les opportunités (comme le copain de Freja). La mauvaise foi et l’égoïsme candide motivent les initiatives déguisées en nobles desseins. Vinterberg ne fait pas l'erreur de surestimer la mesquinerie, il ignore même la méchanceté ; ses personnages croient leurs raisons déclarées, ou simplement ne se 'prennent pas la tête'. Anna paraît libérée et optimiste, au fond elle souhaite simplement se donner une seconde jeunesse – il y a bien de l'égocentrisme là-dedans mais pas d'ambition ou d'avidité mal placée. Elle ne veut pas une cour ; juste ne pas moisir avec son mari qu'elle aime toujours ; elle anticipe peut-être le déclin et croit trouver une parade. C'est pourquoi elle le pousse à sacrifier son égoïsme à lui, à partager leur maison héritée par lui.
Ainsi la farce démocratique trouve un terrain où se répandre. Jamais il n'y aura de discussions relevées. Les activités communautaires se résument à se retrouver autour de la table – oublis et pruderie du cahier des charges ? Le film reste centré sur le couple et les deux personnages autour (la fille, l'élève et amante) présents dans la société, via leurs rôles ou environnements professionnels essentiellement. Initiateurs de ce beau mélange, ils en deviennent les dindons et en cela le film pousse à des jugements profondément désabusés, voire misanthropes. Les membres sont bienheureux de vite rejeter sur le couple ses problèmes, comme s'ils en étaient dissociés.
Or le malaise est né de la combinaison d'un élément propre aux hôtes (leur vieillissement), d'un autre dont ils sont l'incarnation (la donation). Au-delà de l'aspect financier, ils se sont montrés généreux et mis en danger sans recevoir en retour – sûrement pas des liens solides, une nouvelle famille et une compréhension élargies. Les 'parasites' et escrocs en sont l'expression la plus flagrante mais de loin la moins hostile : l'enfant malade s'évanouit quand il n'arrive pas à ses fins, l'étranger feinte la pleurniche (ou bien elle est devenue un réflexe ?) pour éviter de donner des réponses. Les autres ne semblent pas de tels poids, n'implorent rien ; c'est qu'ils pompent sans haine, violence ni inhibition. Probablement réservent-ils leurs anxiétés et culpabilités pour d'autres affaires.
Ils ne sauraient être au courant de ce qu'on trouvait entre les lignes de l'arrangement : ils sont chez eux et les valeureux autochtones peuvent bien y rester ! Ils sont leurs égaux et ont droit à leurs caprices – tant qu'ils ne poussent pas au drame ! Car pourrir l'ambiance est le crime des crimes – les autres étant inimaginables dans un monde si creux et infantile (hormis peut-être laisser traîner ses affaires, qu'un administrateur perfide ne manquera pas de purger au nom des règles du vivre-ensemble). Quand il faut tenir compte des dégâts infligés aux individus et spécialement aux plus méritants (car les seuls à avoir investi quelque chose qu'eux avaient), la farce démocratique devient criante. Individuellement, ils peuvent assumer et comprendre ; collectivement, naturellement l'entendement est moindre ; avec l'outil démocratique, il devient inexistant. Ce film montre la démocratie collectiviste comme un régime des irresponsables et des hypocrites – immédiatement tournés vers leurs plaisirs et leurs petits intérêts dès que 'le système' a fait son ouvrage – en l’occurrence, dès que le vote est consommé.
L'empathie, le souci des autres et de leur bien-être, l'engagement et la fibre humaniste : sacrée farce. Nous sommes seulement dans une espèce de squatte de luxe fourni par deux propriétaires piégés par un élan – qui pourrait aussi bien s'appeler une idéologie (soit la cristallisation d'émotions, de besoins et de convictions en un système gourmand – éventuellement avec ses bibles et ses bibelots). Finalement [SPOILERS] le lave-vaisselle entre au moment où une femme à problème s'en va. Elle aurait pu se replier dans un rôle de domestique de la communauté mais la voilà frappée d'obsolescence intégrale. Et la vie joyeuse, éloignées des ennuyeuses conventions petites-bourgeoises, peut se poursuivre pour les esprits assez légers pour demeurer à bord.
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Créée
le 17 juil. 2019
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