"La conquête" de Xavier Durringer : atonie et fadeur sarkozyste

Si l'on prend la peine de se déplacer au cinéma pour voir un film sur Nicolas Sarkozy, dont l'espace médiatique est perpétuellement saturé (que ce soit de sa propre initiative ou de celle des commentateurs politiques), c'est avec la ferme intention d'en apprendre un peu plus sur le personnage politique, ou de profiter d'un point de vue nouveau sur son action et son comportement (sarcastique, critique, élogieux, comique, ou que sais-je encore !). Mettons les choses au clair dès à présent : vous ne trouverez rien de tout cela dans La Conquête de Xavier Durringer. Le film semble se penser clairement sans parti pris, si bien que le réalisateur en oublie souvent d'avoir un point de vue. Or, sans point de vue, un film (et d'autant plus un film se réclamant dès le départ comme "œuvre de fiction") ne saurait être une œuvre de cinéma. Subséquemment, La Conquête n'apporte rien de nouveau, que l'on se place sur le plan des faits (ceux qui n'ont pas suivi de près la campagne y apprendront néanmoins certainement des choses) ou du regard cinématographique. On est bien déçu, surtout qu'il y avait, selon la formule consacrée, "matière" cinématographique dans ce personnage politique hors-du-commun que constitue Nicolas Sarkozy.

Aucun choix artistique ou politique n'étant effectué, tout est donc fade et atone. Mis en scène comme un téléfilm ayant un large budget, écrit avec autant de subtilité qu'une vanne de Sarkozy lui-même, le film en finit par ne traiter que d'une suite d'évènements inconséquents, ridicules, grossiers, à l'image du sujet dont il est question. Certains acteurs sont là pour sauver, un peu, la mise, Podalydès en tête (il "habite" littéralement Sarkozy), là où la plupart se contentent de tracer à grands traits des caricatures (Lecoq en Chirac, Labarthe en Villepin, etc.). D'autres personnages semblent complètement décalés par rapport à la réalité (Bernadette Chirac, Claude Guéant, etc.), faute probablement due à un casting et à une direction d'acteurs inappropriés. Pour un premier film tourné sur un président en exercice, on aurait été en droit d'attendre une vraie intensité, soit par exemple par le biais d'une mise en scène ample et intelligente, soit par celui d'une écriture distanciée et audacieuse. Une fois encore, on reste sur notre faim.

Finalement, la seule chose qui demeure après 1h45 de film, c'est la sensation que le réalisateur a voulu montrer l'homme derrière la bête politique. On aurait pu envisager ici le choix d'un ton pour le film, mais ce choix n'est jamais véritablement assumé et pris à bras-le-corps (notamment, il faut bien le dire, car les scènes d'intimité sont réalisées avec des gros sabots). Il demeure que, là où Durringer se penche sur la vie et le parcours personnel de l'homme Sarkozy (principalement sa relation tourmentée avec Cécilia et la fragilité psychologique du personnage), il évoque à peine les zones d'ombre du politicien (sa main mise sur plusieurs médias, l'absence de pensée politique définie, ses choix électoralistes plus que dangereux, etc.) et omet de traiter des enjeux politiques fondamentaux qui furent à l'œuvre durant la campagne de 2007. Cette vision assez partielle, bien que rarement partiale nous l'avons dit, contribue à humaniser l'individu. D'autant plus que les autres politiques sont présentés comme machiavéliques, mesquins et manipulateurs (Villepin est tout bonnement méprisable), tandis que Sarkozy apparaît, en comparaison, provocateur certes, mais surtout entier et honnête. À cet égard, le président peut se frotter les mains, le film contribuant à entretenir le mythe d'un homme qui parle vrai et qui s'est fait tout seul, contre les élites (et on fait à peine allusion à ses mensonges, ses contradictions, ses appuis financiers, etc. ou alors de la bouche de ses antagonistes dans le film, ce qui donne peu de poids aux arguments). Il ne manquerait plus que Carla Bruni-Sarkozy soit enceinte, et Nicolas Sarkozy pourrait envisager sereinement sa réélection... Plus sérieusement, on est en droit de s'interroger sur l'opportunité et l'utilité d'un tel film à quelques mois de l'élection présidentielle.
EleuthereJ
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le 30 mai 2012

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