La Conquête peut en cacher une autre
Attendue... voire très attendue, cette Conquête. Pour certains qui, comme moi, sont devenus des fanatiques de la politique en fiction depuis la découverte de The West Wing, on pouvait même dire que ce film était une sorte d'aubaine. Enfin, dans un climat on ne peut plus politique, allait-on pouvoir nous mesurer aux anglo-saxons ! Résultat ? On s'en sort pas si mal... mais sur des terrains tout à fait inattendus.
Avant toute chose, et pour dissiper tout malentendu, il est absolument nécessaire de préciser un détail au sujet de La Conquête. De la même façon que The Social Network n'est pas un film sur du langage de programmation, La Conquête n'est pas un film sur la politique. La politique n'est ici qu'un cadre particulier, effleurée qu'en de larges notions, mettant en scène, d'abord, le destin tragico-successfull d'un homme, Nicolas Sarkozy.
Et la comparaison avec The Social Network ne s'arrête pas là – car même si La Conquête ne dispose clairement pas du rythme et de la qualité de dialogues de notre ami Aaron Sorkin – les deux films proposent des enjeux similaires : qu'est-on prêt à sacrifier pour réussir ? Une femme ? Pour aller encore plus loin dans le parallèle, et sans véritablement spoiler, la dernière image de The Social Network signifie d'ailleurs quasiment la même chose que la première image de La Conquête... celle-ci se déroulant elle-même à la fin de l'histoire qu'il raconte (La Conquête se construit autour d'une succession de flashbacks).
Il ne s'agit donc ni d'un film critiquant certaines facettes de la politique (voir la filmographie de Peter Kosminsky par exemple) et encore moins un film d'experts du domaine en question (tel que peut l'être The West Wing). Le sens de La Conquête est, lui, et c'est ce qui semble choquer les journalistes apparemment, purement romanesque. Mais...
Pour autant, il ne s'évite pas un mélange des genres intéressant. La Conquête, contrairement à ce qu'on pourrait croire, est en fait une comédie dramatique. Une sorte de mélange naturel entre On Expenses, satire anglaise amusante dont elle emprunte la légèreté et la bande son guillerette, et des deux premiers épisodes de Borgen, série politique danoise, qui met en scène l'influence de la vie privée sur la vie publique. Nicolas Sarkozy, personnage principal qui souffre d'une interprétation à la limite de la caricature de Podalydès (c'est, après Besnehard, le pire de la distribution, notamment à cause de la voix qu'il prend – on croirait entendre Les Guignols), affronte des obstacles, s'en remet, et gagne mais en payant chèrement son succès par sa vie privée.
De ce point de vue-là, le film humanise le président et le rend même aimable façe aux Chirac, Villepin et compagnie qui veulent lui tordre le coup. Mais il met aussi en avant le travail extraordinaire de Florence Pernel qui interprète Cécilia. Samuel Labarthe, qui s'occupe de l'ennemi juré de Sarko, n'est pas non plus loin de la caricature – une erreur qu'on peut, pour le coup, attribuer à une écriture systématisant les formules et les expressions françaises dans chacune de ses scènes. En revanche, Bernard Le Coq est carrément extraordinaire et propose un Chirac à la fois amusant, revanchard, haineux parfois mais toujours dans la nuance.
Si, durant la première moitié du film, tu ries devant tant de cruauté, d'hypocrisie et de manipulation, des éléments présentés comme intrinsèques au monde politique, on se prend, au cours de sa deuxième moitié, d'affection pour le personnage principal tant il est montré comme une victime d'un système. Les facettes bling-bling et grand ami des journalistes et des hommes puissants sont évoquées, parfois montrées mais jamais de manière insistante. Si bien que le propos ne travaille pas le personnage autour de sa présence politique et médiatique mais de son histoire personnelle avec Cécilia Sarkozy qui, le jour de son élection, va le plaquer.
Même s'il en parle peu, La Conquête n'est malheureusement pas un film très subtile lorsqu'il cause politique. Dans l'une des premières scènes, on voit Sarkozy, armé de sa garde rapprochée et de Cécilia, expliquer comment il va être « acteur et metteur en scène de l'actualité ». Une scène d'exposition mal jouée car servie d'un texte sans aucune finesse dont j'attends encore de comprendre la pertinence et l'importance – tous les français l'ont à peu près intégrer, on a presque l'impression d'être sur Internet et de voir un méchant troll. Et pourtant, on y trouve parfois quelques fulgurances pour montrer – sans le démontrer – comment Sarkozy va faire sauter les lignes de la 5ème république. Dans l'une des scènes où il monte l'escalier vers l'Elysée, il suit scolairement le majordome qui lui montre le chemin, sans jamais passer devant lui. Plus tard, dans le film, au moment de son élection, pour marquer un changement au sein du personnage, il dépassera ce même majordome avant d'arriver en haut de l'escalier (l'escalier étant une astuce de scénariste permettant de montrer l'état psychologique d'un personnage et déjà mise en scène dans Scalp par le même Xavier Durringer d'ailleurs). Outre la scène où Sarkozy et Henri Guaino (joué par Michel Bompoil, un des acteurs de la saison 2 de Reporters d'ailleurs – série hautement plus politique que ce film) préparent un discours, c'est à peu près la seule essence politique que l'on peut extraire de ce film.
Alors, que faut-il retenir de La Conquête ? Que c'est plus drôle que Bienvenue chez les ch'tis. Que c'est un film sur l'échec personnel et la réussite professionnelle d'un homme. Que Podalydès et Besnehard ne sont pas bons mais que le reste du casting est quasiment parfait. Que le traitement musical est déconcertant mais se marie bien avec le traitement du film. Que la réalisation gâche l'aller-retour entre les deux intrigues (élection d'une part et arrivée au ministère de l'intérieur d'autre part) par des fondus au noir très laids – pour le coup, rien à voir avec la structure narrative de The Social Network, bien mieux pensée. Que Rachida Dati, elle est vachement mieux foutue au cinéma.
Mais surtout, surtout, que ce n'est pas un film politique. Maintenant que je l'ai vu, le titre, lui, prend un tout autre sens. Il aurait pu s'appeler Cécilia que ça n'aurait pas changé grand chose.