A la gloire de la vie
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Un film qui se déroule au XVIIème siècle et qui raconte la vie tragique d’un éleveur de chèvres sous le joug ottoman. Ça commence comme une pastorale, on voit son quotidien et celui de sa famille à s’occuper de la maison et des bêtes, mais très vite, alors qu’il s’absente plusieurs jours pour faire paître les chèvres, trois Turcs entrent de nuit chez lui, violent et tuent sa femme sous les yeux de sa petite fille. Des exactions courantes à cette époque, on peut en lire un échantillon dans le roman d’Ivan Vazov, Sous le joug, où le héros Ognianov est témoin d’une scène de viol avant de venger la victime en tuant les bourreaux tout de go. Et c’est bien le cas dans le film aussi : le père se retire dans la montagne pour élever seul sa fille, Maria, qu’il souhaite transformer en garçon car « il n’y a pas de place pour les femmes en ce monde », lui coupe les cheveux et l’entraîne au bâton durant les années suivantes. Au terme d’une ellipse de neuf ans, la fille est masculinisée et rompue au combat : il s’agira ensuite de vengeance, et la traque des anciens bourreaux commence, avant de se muer en mission générale de justiciers auprès du peuple bulgare. Seulement, au bout d’un moment, la fille se souvient qu’elle est une fille, elle redécouvre son identité sexuelle auprès d’un jeune homme à qui elle a rendu justice, mais le père ne l’entend pas de cette oreille. La fin prend des allures de tragédie, avec cet homme qui a tout perdu, jetant des pierres du haut de sa montagne, dont les échos retentissent dans le silence assourdissant des Rhodopes et de ce qu’est devenu sa vie - et sans doute faut-il y voir une métaphore avec l’histoire du pays, sous occupation pendant cinq siècles dans l’oubli et l’ignorance quasi généraux par chez nous (si on excepte le discours de Victor Hugo de 1876, intitulé « Pour la Serbie »... mauvaise pioche !). Le jet de pierres final renvoie d’ailleurs à un épisode des batailles de Shipka de 1877 et 1878, durant la guerre russo-turque, où les insurgés bulgares, en rade de munitions, par dépit, jetaient des pierres et les cadavres de leurs compatriotes tombés au combat sur l’armée ottomane venue les écraser.
Le film pose aussi la question de la justice : peut-on se venger, c’est-à-dire tuer légitimement ? La réponse est ambiguë, puisqu’elle met en scène le père à la volonté inflexible, et sa fille, embrigadée par lui, qui montre des remords à plusieurs reprises au moment de passer à l’acte. D’abord pour un test qu’il lui fait passer (ce qui doit être son premier meurtre et marquer la fin de l’initiation) et plus tard, lorsqu’elle hésite à appuyer sur la gâchette à la vue d’un des bourreaux accompagné de sa femme, tous deux amoureux de manière visible. L’homme montre ici une tendresse qui la choque. La dernière fois que Maria l’a vu, il violait sa mère. L’irruption de l’humanité chez le monstre l’empêche de tirer ; elle le fera plus tard, sous l’insistance du père et par volonté de se libérer ensuite et de vivre. Le meurtre pour acheter une vie. Mais le père avait raison, il n’y a pas de demi-mesures, « il n’y a pas de place pour les femmes en ce monde », c’est-à-dire, aussi, pour la sensiblerie : il faut faire, ou mourir.
Le jeu d’acteurs n’est pas vraiment au top, à moins que mon jugement soit biaisé par une différence de rapport au cinéma dans les deux cultures, je ne sais. Mais la mise en scène est sobre, le réalisateur n’oublie pas de montrer les instants bucoliques, par exemple deux jeunes gens qui ont la vie devant eux et qui se baignent à la rivière, espiègles et enfantins, jusqu’à l’arrivée du plan nichon à l’utilité scénaristique évidente. Comme pour contraster la gravité du récit, montrer que sous l’occupation impériale des Ottomans, on pouvait se satisfaire de petites joies et trouver du bonheur dans la rusticité salutaire des mœurs d’antan. Un film qui enracine, dans la peinture tragique et non manichéenne d’un roman national oublié.
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Créée
le 2 janv. 2021
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