La performance est entrée à jamais dans l'histoire. Tout comme la couleur de celui qui a pris la plume pour inscrire ce moment dans l'éternité. Sur les terres de la discrimination et de la tyrannie, où les bras se lèvent bien haut en forme de salut. La Couleur de la Victoire, c'est l'histoire, certes un peu romancée, de Jesse Owens, celle du sport prise dans la Grande Histoire.


C'est là que réside toute la réussite du film : inscrire ce que l'athlète a vécu dans un contexte politique fort qui tend un miroir déformant au visage de l'hypocrisie américaine. Celle qui condamne le nazisme en oubliant de balayer devant sa porte, elle qui pratique de manière tout à fait décomplexée une ségrégation arbitraire, une exclusion honteuse. Certains vous diront que le propos est maladroit, voire simplet. Ou encore qu'il reste à la surface des choses. Au contraire. Enfin, pour moi. Le film tient bon la barre de la nuance concernant son discours. Ce n'est qu'à l'occasion d'une ou deux scènes, plutôt classiques, finalement, pour un biopic, que le discours sera surligné, pour les deux du fond qui ont roupillé ou les analphabètes de l'histoire. Mais rien de grave, rien qui ne puisse nuire durablement à un film qui emporte son public et pose sa réflexion du côté de la conviction, des diverses compromissions devant les puissants, la caution d'un régime, la condamnation d'un état de fait, d'une idéologie ou encore la propagande, via l'apparition de la toujours ravissante Carice Van Houten, au visage toujours aussi doux et gourmand.


L'Amérique donneuse de leçons, finalement, n'en sortira pas grandie, comme lors de cette scène finale où le héros redevient prisonnier de sa condition et de sa couleur de peau malgré ce qu'il a accompli pour son pays. Les cyniques, au fil des victoires d'Owens, verront certainement le triomphe simpliste du bon Yankee et de l'Americana éternelle. Dommage, pour estomper cette impression trompeuse, que la réalité totale des faits n'ait pas été portée à l'écran, puisque Roosevelt a carrément snobé le multiple médaillé...


C'est ce qu'on pourrait peut être reprocher à cette Couleur de la Victoire : qu'elle torde un peu la vérité sur l'autel de la dramaturgie, qu'elle exagère certaines de ses scènes ou précipite l'amitié entre Long et Owens, rendant peu probable ce monologue dans la chambre de l'athlète allemand, et qui ne sert finalement qu'à surligner le mal. Pourtant, le spectateur s'en accommode. Car il a certainement vu des films comme Le Majordome qui, à partir d'une vérité, tissent toute une tapisserie d'éléments fictifs confits dans un pathos typique des brouettes à Oscars, finalement bien écoeurant et qui reste sur l'estomac. Rien de tout cela ici, n'en déplaise aux plus grincheux. Car La Couleur de la Victoire emporte littéralement celui qui a payé sa place dans une ascension sportive des plus classiques, par la force de son duo sportif/athlète qui magnétise immédiatement l'adhésion. Rien de neuf, cependant, dans leur relation. Seulement de la confiance et une relation d'amitié qui traverse toute l'oeuvre, prétexte, en filigrane, à parler de dépassement de soi dans l'adversité et d'une certaine résilience, passant dans la préparation du sportif.


Cet aspect ne sera pas oublié. Oh, peut être pas dans la performance elle-même. Plutôt dans ce que le sportif doit certainement ressentir. Cette impression de silence avant le coup de pistolet, cette bulle mentale où il s'isole, ou encore cette impression de gigantisme, au cours de cette scène en plan séquence, où la caméra tourne autour de Jesse Owens qui entre dans l'arène, avant de saisir l'ampleur du stade comble, de voir la foule se lever devant le Mad Man et chanter l'hymne, puis de rejoindre le sportif dans ses rituels et sa préparation. L'ampleur de cette séquence saisit et restitue l'essence même de son personnage principal, qui dit n'être jamais aussi libre que sur la piste.


Car débarrassé des enjeux, des symboles, de la politique et des luttes, il ne reste que la ligne derrière laquelle on se positionne et que l'on caresse du doigt. Et celle vers laquelle le regard se tourne.


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le 6 sept. 2016

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