Que peut encore nous raconter le cinéma sur l’école ? En effet, sujet universel par excellence, le système scolaire a été discuté, analysé, disséqué en profondeur par nombre de cinéastes au cours de ces dernières décennies. Que ce soit pour tourner en dérision ses principes (Le plus beau métier du monde, Les profs), exposer une réalité (Esprits rebelles) ou encore étudier ses inégalités (Sur le chemin de l’école), les réalisateurs de fiction et de documentaire ont été abondamment inspirés par cette thématique essentielle.
Ainsi, avec Entre les murs (Palme d’or à Cannes en 2008), un docu-fiction saisissant, on pouvait penser que rien de mieux ne serait fait. C’était sans compter sur Julie Bertuccelli, qui démontre, à travers son merveilleux documentaire La cour de Babel, que l’école peut encore être lieu d’intégration et d’apprentissage (Entre les murs était quelque peu pessimiste et trouve ici son parangon optimiste). Cette dernière s’est ainsi introduite durant un an dans ‘’une classe d’accueil’’ où des adolescents de toutes nationalités apprennent le français avant d’être redirigés vers une classe ‘’normale’’. Julie Bertuccelli parce qu’elle maîtrise la mise en scène documentaire comme personne (elle retranscrit une authenticité parfaite en ne rajoutant ni musique, ni voix off) nous livre une œuvre juste, pleine d’espoir, incroyablement émouvante car sans excès de pathos. Cette ‘’cour de Babel’’ est un lieu d’échange, de partage, de réflexion où les adolescents racontent leur langue, leurs coutumes, leurs peurs et leurs conceptions de la vie. La réalisatrice s’intéresse à la fois à la vivacité d’esprit de ces jeunes d’une grande maturité mais aussi à la pédagogie et la passion admirable de leur professeur de français Brigitte Cervoni mettant ainsi en évidence le modèle formidable qu’est ce microcosme sociétal basé sur la multi culturalité (qu’il serait d’ailleurs temps d’appliquer à toutes les sphères de la société). La cour de Babel est donc un documentaire débordant d’amour et de tolérance, une remarquable leçon de vie, un enchantement, bref l’un des meilleurs films de ce début d’année.
Zoom sur … le cinéma documentaire et ses formes d’écriture.
Comment distinguer le cinéma documentaire des reportages et autres enquêtes télévisuelles ? Quelle en est la valeur ajoutée ? Une interrogation importante car très souvent, les spectateurs ne distinguent plus ces deux formes pourtant totalement différentes. Il existe en effet des reportages où le seul intérêt est l’information, le sujet traité alors que d’autres (et c’est là où l’on peut parler de cinéma documentaire) ne s’intéressent non plus seulement à la thématique mais aussi à la manière dont elle va être traitée. Le documentaire n’est en effet pas une représentation du réel mais une reconstitution de celui-ci et pour ce, il est important de penser et d’appliquer de façon judicieuse une ou plusieurs formes d’écriture (un montage d’archives, un exposé didactique avec voix off, une enquête journalistique avec entretiens…). Ainsi parmi celles-ci, existe ce que l’on appelle le cinéma direct, marque de fabrique d’un des plus célèbres documentaristes français Raymond Depardon, un cinéma documentaire qui observe, sans intervention ni commentaire de la part du réalisateur, une manière de se rapprocher le plus possible du réel. Ce qui importe est alors le montage qui permet de mettre en perspective les éléments et de créer une narration. C’est l’écriture utilisée par Julie Bertuccelli dans La cour de Babel, un mode opératoire réfléchi qui en fait un véritable documentaire de cinéma.