Faire une critique de ce film, c'est un sacré exercice tant le film laisse béat. Vous me pardonnerez donc le manque de structure et de synthèse dont cette critique souffre.


A un niveau purement technique, c'est tout bonnement excellent. Mathias Théry et Étienne Chaillou ont accompli un travail qui force le respect. Si la valeur de plan est vraiment excellente, le montage, en particulier, est la force du film. Il tient le spectateur en haleine, expose le contenu du film de façon à la fois synthétique et dense. Il suggère, sans affirmer. Il interroge le spectateur, le provoque , et l'oblige à un réel travail de digestion de sa part.


Sur la forme, La Cravate est un voyage intérieur. Narré, sans être romancé, il montre, mais ne dénonce pas. C'est un documentaire inventif, clairement auteuriste, et qui n'a pas vocation de montrer sans orienter. Là où réside la qualité de cette intention, est qu'il oriente de façon très neutre. Il se veut exposer avec sincérité, pertinence, et avec tact. Mathias Théry et Étienne Chaillou font tout leur travail de réalisateur en mettant la puce à l'oreille du spectateur, mais laissent une grande place à celui-ci. C'est d'une honnêteté qui est risquée, mais profondément juste. C'est tout à leur honneur.


On ne s'ennuie pas une seconde, rien n'est à jeter. C'est vraiment un documentaire très sobre, où l’œil aiguisé du spectateur achève le travail effectué par les concepteurs du documentaire. C'est malin, et brillamment mené. Loin d'un réquisitoire, cela reste militant. C'est le talent des réalisateurs d'avoir réussi à adopter cette position à la fois extrêmement pertinente, riche de signification, sans jamais se laver les mains de ce qu'ils montrent.


Bastien, lui, au contraire, reste naïf de bout en bout et se lave les mains des conséquences de son militantisme. Un garçon bien perdu, qui devra grandir et mûrir encore des années avant, d'un jour, abandonner ses œillères. Il est beau de ressortir de la séance en se disant qu'il y a encore chez ce jeune homme des perspectives d'évolution idéologiques.


J'avais lu dans une critique externe à SensCritique que ce film permettait à chacun de comprendre comment on basculait dans l'extrême-droite. Je trouve ça totalement faux. C'est, d'une certaine façon le défaut du documentaire. Je n'ai pour autant aucune idée de comment cela aurai pu être intégré à celui-ci sans trahir l'intention de neutralité des réalisateurs : c'est pourquoi je me refuse à attribuer à ce documentaire une note inférieure ou supérieure. On comprend pourquoi le protagoniste a développé une haine et un sentiment de persécution. La Cravate montre le doute, il nuance les facilités que l'on pourrait avoir en qualifiant les militants FN de purs salauds. Il expose la blessure et le chemin de la haine, mais il le fait pour une personne, et accuse des lacunes lorsqu'il s'agit de globaliser le cas. Comme je le disais, je n'ai aucune idée de comment cela aurai cependant pu être fait d'une meilleure façon !


Ce qui est d'ailleurs ironique c'est qu'il accepte la vision proposée par les réalisateurs (qui n'ont vraiment pas la langue de bois) et la valide comme véritable, mais il n'est aucunement capable d'une prise de distance qui remettrait en cause son militantisme. Le documentaire n'interroge pas pourquoi Bastien a placé sa haine dans les étrangers spécifiquement, ni pourquoi il avale et répand les conneries démagogiques du FN et autres sophismes, alors qu'il est visiblement doué d'une certaine intelligence. Bien qu'il nourrisse des ambitions, il est bien loin de la mégalomanie hypocrite de ses collègues égoïstes et opportunistes. Les réalisateurs ont définitivement eu l’œil en contant le récit de cet homme au profil complexe, et loin d'un manichéisme aveugle dont on pourrait affubler la plupart de ses collègues.


La Cravate, c'est l'histoire d'un homme plein de doutes, mais qui n'a aucune méthodologie pour douter correctement. Une faiblesse d'esprit au sein d'un esprit pourtant puissant, qui est le profil type des personnes sujettes à l'embrigadement d'un parti comme le FN pour en faire de parfaits petits soldats.


Un paradoxe qui laisse songeur.

MadMonkey
8
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le 5 févr. 2020

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MadMonkey

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