"La croisière du Navigator" est sans doute l'un des films les plus burlesques, le plus enlevé du grand Keaton : il se présente comme une succession quasi ininterrompue de moments de bravoure d'une grande inventivité graphique. Ce fut aussi son plus gros succès commercial, mais ce n'est pas a posteriori son meilleur film, sans doute parce que, à nos yeux d'aujourd'hui, il respecte trop les canons du cinéma comique des origines, et n'a ni l'audace formelle et intellectuelle de "Sherlock Jr.", ni l'ambition du "Mécano de la General", ni même la folie de certaines scènes des "Fiancées en folie".
Pourtant, il nous permet de nous poser une question intéressante : et si Buster Keaton, au-delà de sa science indiscutable d'un comique "physique", et donc très "visuel", était l'un des grands poètes de l’Amour de l'histoire du Cinéma ? Car, là encore, dans cette "Croisière du Navigator", il n’est question que de la conquête du cœur d’une jeune femme par un garçon singulièrement peu doué, à l’origine, pour une entreprise de cet ordre. Oui, l'amour est bien le ressort dramaturgique même de l’œuvre de Keaton, car, et c’est ce que redit "la Croisière du Navigator", l’amour se mérite : il faudra tout un film et des péripéties innombrables, qui apprendront à notre couple mal assorti à se débrouiller dans la vie, pour que se fasse le mariage tant désiré. Et le fougueux baiser de la fin fera tourner sur son axe le sous-marin où nos héros auront été recueillis, naufragés, preuve que la soudaine révélation de l'Amour peut aller jusqu'à faire chavirer le monde...!
[Critique remise en forme en 2020 à partir de textes critiques lus en 1981, et d'une première version de 2006]