Lorsque survint la pandémie de Covid-19, puis lorsque furent instaurés le confinement de 2020 ainsi que les gestes barrières, nous nous sommes demandé quelle serait notre réaction, au cinéma, devant des personnages non masqués et ne se désinfectant pas les mains en toute occasion. Pourrions-nous encore y croire ? Trouverions-nous cela normal, nous pour qui la normalité était en train de changer ? À l’inverse, allions-nous devoir nous habituer à voir nos actrices et acteurs favoris le visage à demi dissimulé ? Finalement rien de tout cela. Sur la bonne voie de la schizophrénie, nous nous sommes habitués, dans la vraie vie, à être entourés de masques - sauf dans la sphère intime -, et à l’écran, à contempler des visages nus, visibles.


D’où un léger choc, devant le pari audacieux de Simon Rembado et Clément Schneider : les visages qui surgissent à l’écran sont ceux que nous côtoyons tous les jours. Ils sont masqués et nous invitent à sauter à pieds joints dans notre actualité, déjà presque un peu passée, puisque nous nous trouvons devant un trio, bientôt quatuor, de trentenaires parisiens profitant du déconfinement de l’été 2020 pour rejoindre une maison familiale en province. Une actualité qui correspond à celle de la troupe, puisque la petite équipe, artistique et technique, se retrouve pour de bon en Bourgogne, durant ce même été 2020, contrainte par les restrictions attachées à l’épidémie de renoncer à son petit festival local « Y’a pas la mer » et décidant de tourner en trois semaines, à défaut de la jouer en plein air, l’adaptation, par Simon Rembado, de la pièce de Gorki, « Les Enfants du soleil » (1905). Plusieurs seront polyvalents, puisque Simon Rembado campera également un voisin convoitant sans se cacher une parcelle de terrain appartenant encore aux « Parisiens ». Et Clément Schneider sera également chargé de la photographie et co-producteur.


Les deux co-réalisateurs apparaissent comme les plus misanthropes qui soient, tant ils poussent loin les intentions satiriques de Gorki et tant se trouve vitriolé l’échantillon d’humanité dont ils brossent le portrait : chacun est dépeint comme lâche, exclusivement centré sur des intérêts qui n’intéressent que lui (Paul - Simon Bourgade, urticant à souhait); son encore femme (Hélène - Angèle Peyrade) semble n’aimer personne, pas même son amant (Dimitri - Antoine Prud’homme de la Boussinière) qui, bien que photographe, semble aveugle sur plus d’un point, la jeune sœur de Paul (Lisa - Sarah Brannens), aigrie par la maladie et comme dégagée des contraintes sociales qui invitent à ne pas lancer au visage de tout interlocuteur ses vérités les plus amères ; le soupirant de Lisa (Bruno - Loïc Renard), seule figure un peu sympathique, mais qui, du coup, soupire et souffre beaucoup, sa sœur (Mélanie - Yeelem Jappain), qui, elle, soupire en vain et ridiculement auprès de Paul, un voisin alcoolique et violent, parfois aussi larmoyant (Kevin - Étienne Durot), une infirmière froide et intéressée (Julie Roux)… Tout odieux qu’il soit, chaque personnage bénéficie toutefois d’un quart d’heure de grâce, au cours duquel il parvient, très passagèrement, à paraître presque touchant, tel Paul proposant convulsivement : « Allez ! On boit un coup ? », et rencontrant peu d’écho… Mais, rassurez-vous, cela ne dure pas.


Tout ce petit monde assume un jeu un peu raide, délibérément théâtral, comme pour souligner l’intention parodique. L’entreprise, dans son initiative et son mode de production, a un côté sympathique mais l’œuvre à laquelle elle aboutit donne à voir un tel jeu de massacre qu’elle peut, selon l’humeur et la tournure d’esprit du spectateur, réjouir ou déprimer, tout en laissant dubitatif sur les intentions des réalisateurs. À moins d’une entreprise d’auto-flagellation pour bobo parisien ? Ou d’une démonstration de haine de l’humanité poussée si loin qu’elle aboutirait, finalement, à ce qu’on ne trouve pas si infréquentable l’humanité réelle ?… Un effet de va-et-vient intéressant, comme on le voit, entre virtuel et réel.

AnneSchneider
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le 28 août 2021

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