J'ai une crinière rousse domptée et des lunettes 70's qui mangent littéralement mon visage. Qui le cachent. Ainsi que mes yeux baissés. Je m'appelle Dany. Une fois mes cheveux lâchés et mes lunettes abandonnées, je me transforme. Je suis jolie, mais pas trop. Juste ce qu'il faut pour faire tourner la tête aux garçons. J'ai des lèvres pleines, comme celles qui laissent des traces de rouge sur les mots doux. Mon visage est constellé de petites tâches de rousseur adorables que certains voudraient compter et caresser délicatement. D'autres voudraient aussi en sentir le parfum, au creux de ma gorge, attirés par la petite croix discrète que je porte autour du cou. Je m'habille assez court, pour que mes magnifiques cannes de serin puissent s'ébattre en toute liberté.


Je suis bonne pâte. Mon patron, qui a la tête d'alcoolo de Benjamin Biolay, en profite. Il fait appel à moi pour retaper un rapport de présentation, pour un colloque. Je dis oui car on peut toujours compter sur moi. Et que j'en pince un petit peu pour lui, aussi. Ce qu'il ne me dit pas, c'est qu'il a besoin de moi pour reconduire sa superbe Thunderbird couleur océan chez lui. Il me confie son joujou au pied de l'aéroport, s'en allant avec femme et enfant. La femme me dédaigne, dit que je veux me rendre intéressante et que je vais leur faire rater l'avion.


En chemin, je me dis à plusieurs reprises que je veux voir la mer. Les panneaux sur l'autoroute me donnent le choix entre revenir à Paris où partir à l'aventure, dans le Sud. J'hésite. Mais je me dis qu'au bout du compte, il n'en saura jamais rien, de mon escapade. Je prends la sortie... Et je me parle à moi-même, comme le fait, je pense, à peu près tout le monde. Je me dis que ce n'est pas grave.


Mais au fond de moi, je sais que quelque chose ne tourne pas rond. Des gens que je connais ni d'Eve, ni d'Adam s'approchent et me disent qu'ils se souviennent de moi. Et de la voiture. Que je n'avais pas l'air dans mon assiette et que j'ai oublié ma veste au bar. Je leur dis qu'ils doivent faire erreur et qu'ils confondent avec quelqu'un d'autre. C'est sûr puisque je sais quand même ce que je fais. Je viens de descendre de Paris et ne pouvais me trouver là où ils le disent. Mais quand je regarde dans le miroir, mon reflet se multiplie à l'écran. Je répète les paroles que la femme de mon patron m'a lancées au visage...


Je ne sais pas qu'il se passe. La caméra ne me lâche pas. Je suis de tous les plans. On dirait que je suis piégée et que quelqu'un qui a adopté mon apparence me devance de quelques heures, partout où je passe. On me reconnaît. On me dit que j'étais là la veille alors que je sais quand même que j'étais à Paris au même moment. C'est comme si j'avais des trous noirs et des absences. C'est ce que se dit le spectateur. Beaucoup semblent m'avoir déjà vue mais je n'ai aucun souvenir d'eux. Je suis fatiguée. Et puis, il y a cette personne qui m'a agressée dans les toilettes à la station service. On m'a prise pour une folle car on n'a vu personne y entrer. Ils me disent que je mens. Je suis de moins en moins sûre de ce que je sais. Je perds pied.


J'entraîne le spectateur avec moi dans ma déchéance, dans mon abandon. Car il s'est laissé aller et est tombé sous mon charme innocent. Je ne suis plus sûre de rien. Et si j'avais fait tout ce qu'ils disent ? Est ce que je suis folle ? Tout ce que je voulais, moi, c'était voir la mer. Un jour. Une fois dans ma vie. J'entends la BO qui suit mes aventures, atmosphérique et entêtante, comme mes tribulations. Celui qui est devant l'écran s'égare avec délice. Il me trouve belle et se demande bien, au final, dans quoi je me suis fourrée ou si j'ai réellement perdu la boule, comme ils le disent tous.


Mais peu importe, au fond, la destination de mon escapade. C'est le voyage qui compte. Et ce que celui qui est assis devant l'écran a vu, ce qu'il a ressenti : le plaisir de se laisser mener par le bout du nez, jusqu'aux ultimes minutes. Et il a littéralement plongé avec moi, dans mon esprit pas très en ordre, dans mes doutes et mes incertitudes.


Je m'appelle Dany. Je suis jolie. Je ne suis pas sûre, mais je crois bien que je deviens folle.


Behind_the_Mask, qui ne sait plus vraiment qui il est.

Behind_the_Mask
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Femmes Fatales, Une année au cinéma : 2015, Les meilleurs films de 2015 et Pour moi, 2015, c'était...

Créée

le 5 août 2015

Critique lue 1.7K fois

41 j'aime

13 commentaires

Behind_the_Mask

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

41
13

D'autres avis sur La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil

Du même critique

Avengers: Infinity War
Behind_the_Mask
10

On s'était dit rendez vous dans dix ans...

Le succès tient à peu de choses, parfois. C'était il y a dix ans. Un réalisateur et un acteur charismatique, dont les traits ont servi de support dans les pages Marvel en version Ultimates. Un éclat...

le 25 avr. 2018

205 j'aime

54

Star Wars - Les Derniers Jedi
Behind_the_Mask
7

Mauvaise foi nocturne

˗ Dis Luke ! ˗ ... ˗ Hé ! Luke... ˗ ... ˗ Dis Luke, c'est quoi la Force ? ˗ TA GUEULE ! Laisse-moi tranquille ! ˗ Mais... Mais... Luke, je suis ton padawan ? ˗ Pfff... La Force. Vous commencez à tous...

le 13 déc. 2017

193 j'aime

39

Logan
Behind_the_Mask
8

Le vieil homme et l'enfant

Le corps ne suit plus. Il est haletant, en souffrance, cassé. Il reste parfois assommé, fourbu, sous les coups de ses adversaires. Chaque geste lui coûte et semble de plus en plus lourd. Ses plaies,...

le 2 mars 2017

186 j'aime

25