En 1948, Welles (La Soif du Mal, Citizen Kane) abandonne les studios américains après le tournage catastrophique de Macbeth, pour s’engager dans une carrière désormais aléatoire. Deux plus tôt, La Dame de Shanghai donne au cinéaste un avant-goût de cette déconfiture. L’ingérence des studios se fait de plus en plus pressante et contrariante, comme déjà pour Le criminel en 1945. Welles fait circuler des rumeurs selon lesquelles il aurait totalement survolé son sujet, y allant au talent et sans se forcer. Il n’est pas seulement très orgueilleux, mais aussi manifestement très agacé par les barrières qui lui sont posées et le manque de réceptivité de ses collaborateurs.

La Dame de Shanghai est un beau film, simplement, carrément, sans galvauder le terme. Welles s’appuie sur le prétexte d’une adaptation de roman pour faire la démonstration de son invention visuelle et son imagination flamboyante. Les dialogues et l’écriture des deux principaux personnages sont d’une intelligence profonde. C’est paradoxalement avec ce film que Welles tâche de se fondre dans les genres codifiés de son temps, lui qui justement doit présenter un produit prestigieux et surtout, surtout, rentable. Il en a d’autant plus besoin après les échecs commerciaux de Citizen Kane et des Amberson, pesant toujours sur lui. La présence de Rita Hayworth lui permet d’inspirer la confiance aux producteurs.

Cependant le résultat sera si déroutant que la sortie du film est repoussée de deux ans. Il est souvent dit que Welles comptait détruire la carrière de sa compagne Hayworth, avec qui il était alors en procédure de divorce : cette interprétation renvoie à un fait similaire concernant Fred MacMurray pour Assurance sur la mort. Pour casser l’image de son poulain fuyant, la Paramount laissait Wilder exécuter un film noir vraiment noir : tellement noir qu’il l’est encore plus que cette Dame de Shanghai, lui-même anormalement macabre. Le machiavélisme irriguant cette œuvre étonnante ne tient pas qu’à l’enquête, mais également aux racines morales et aux convictions intimes des protagonistes.

Dans le film et pour Rita en particulier se pose la question : comment vivre, que ce soit entre parenthèses, dans sa peau, dans celle d’un autres ; et comment apprécier la vie, alors qu’on a foi en rien et confiance en personne. Il y a la possibilité de se créer un labyrinthe d’illusions et le risque de devenir un monstre : Rosalie les connaît tous les deux. Michel est malgré lui ensorcelé par cette passion de faussaire, lui qui doit organiser le ‘meurtre’ d’un homme souhaiter passer le reste de sa vie à vivre celle d’un autre (Welles jouera ce rôle dans Le Troisième homme de Carol Reed un an plus tard). Rosalie est au bout de ce processus de manipulation de la réalité et l’attire d’autant plus, malgré son évidente aura de danger.

Elle a aussi, en plus de son client, toute une philosophie soutenant ce comportement excentrique. En plus d’un film noir dévergondé et d’un film d’aventures étrange, La Dame de Shanghai est un choc de caractères, avec des personnages dont les points de vue se lient et se défont, se nourrissent et se pourrissent. Elle est le fatalisme fait femme, antidote au cynisme et à l’optimisme de Welles et de son personnage. Les péripéties en sont dopées et atteignent une dimension tragique, avec un climax dans la chambre des glaces. Les séquences finales sont à la fois métaphore de la descente aux enfers de Michel (victime de machinations et d’intérêts mal placés) et incarnation matérielle d’un somptueux mirage.

http://www.senscritique.com/film/Citizen_Kane/critique/25754229

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le 26 déc. 2014

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