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La Dérive
6.2
La Dérive

Film de Paula Delsol (1964)

Son accent parisien tranche avec le parler méridional. Jacquie est revenue au pays. On sait la méfiance, voire l'inimitié, qu'inspire le "parigot" dans le sud : Jacquie est vue au mieux comme une jeune femme légère, une coquette, au pire comme une traînée. C'est ce que lui lance sa soeur, prototype de ce que Jacquie rejette : le modèle d'une épouse rangée avec enfants.


Jacquie cherche l'aventure, c'est là son unique boussole. Le beau Pierre ne l'a pas compris, il croit que son amoureuse veut le retenir, l'ancrer, comme toutes les femmes, alors que lui ne rêve que de voyages. Il lui fausse donc compagnie dès que l'occasion se présente, quittant le train où Jacquie s'est assoupie : l'image d'Épinal du couple heureux sur la banquette d'en-face, ce ne sera pas pour elle donc. Dès lors, tout le parcours de la jeune femme va n'être qu'une réponse à ce Pierre perdu, une façon de lui dire : "tu vois que je suis aussi aventurière que toi"...


A Nîmes où elle descend du train, c'est la feria. Fanfares, défilés et danses dans la rue, que Paula Delsol nous montre authentiquement : son film saisira ainsi souvent la population à l'oeuvre à la façon d'un documentaire. En suivant ses personnages, Paula Delsol montre des lieux, un peuple, des usages, ce qui l'a rattache clairement à la Nouvelle Vague.


Au milieu de la foule, la valise de Jacquie s'ouvre, la scène est superbe. Jacquie remballe tout tant bien que mal, erre dans les rues sa valise mal refermée à la main, atterrit dans un bar où se joue d'abord du flamenco puis du jazz. Ce dernier est omniprésent dans la B.O., ce qui ne gâche rien. A mon goût en tout cas. Un choix approprié, tant cette musique symbolise la recherche permanente d'une liberté, d'un destin qui n'appartient qu'à soi. C'est aussi un style qui assume la dimension sexuelle de la musique. Mais revenons à Jacquie dans son bar.


Le premier homme qui vient vers elle la mettra dans son lit, à condition qu'il soit jeune et beau. C'est ici le cas. Jacquie préfère quand même éteindre la lumière, et chaque coït sera ainsi représenté par un écran noir de quelques secondes. Malicieux. Au petit matin, l'homme ne fait pas grand cas d'elle, alors elle poursuit sa route, vers Palavas où sont restées sa mère et sa soeur, selon le schéma traditionnel.


Jacquie va tout expérimenter : le vieux cochon édenté qu'il faut fuir, l'ami de longue date amoureux mais trop associé au cadre de son enfance, le riche oisif qui l'a recueillie mais qui ne pense qu'à la "sauter" (avec la bénédiction de sa femme), le neveu de celui-ci, bien plus joli mais frivole. Jusqu'à trouver, enfin, l'amour.


L'audace de Paula Delsol, c'est de montrer une jeune femme entièrement tournée vers le plaisir, sur le modèle de Et Dieu créa la femme, le brûlot de Vadim de 1956 (où le jazz est aussi bien présent). 8 ans plus tard, Paula Delsol en propose sa déclinaison, un peu comme Truffaut refit Chien perdu sans collier avec Les 400 coups. Jacqueline Vidal a d'ailleurs, physiquement quelque chose de Bardot, mâtiné de Deneuve peut-être. Delsol ne se prive pas de montrer ses longues jambes nues, dans la scène avec son amie, ou sa généreuse poitrine dans une scène où, comme exposée en vitrine, elle affole tout le quartier.


Jacquie fonctionne au feeling, sur des coups de tête, c'est ce qu'expriment les nombreuses transitions brutales d'une scène à l'autre, l'un des plaisirs du film. Elle s'enflamme pour son ami Jean lors d'une corrida avant d'aller danser le twist avec lui, puis se lasse et le rejette. Elle monte dans l'Alfa Roméo d'un bellâtre et se donne sans hésitation à lui. Plus tard, désoeuvrée, elle finit par accepter la proposition très paternaliste du vieux rupin. On n'est plus très loin de la prostitution, mais s'il faut dire qu'elle l'aime avec conviction, elle le fait en riant. Rien ne prête à conséquence.


Entre deux hommes, Jacquie repasse par la maison, vérifier sa détestation de ce cadre conformiste. Même sa mère, qui l'accueille toujours telle l'enfant prodigue, ne recueille que son mépris puisqu'elle n'a pas su garder son homme. Jacquie y parviendra-t-elle ? C'est tout de même ce qu'elle souhaite, sous ses dehors frivoles, puisque c'est toujours contre son gré que ses aventures prennent fin. La dernière scène est signifiante : son nouvel amoureux est bien venu au rendez-vous, de quoi espérer. Mais il se refuse à parler d'amour autrement qu'au présent. Peut-être le seul gage d'un amour durable, semble nous dire Paula Delsol, après avoir décliné une série de situations menant à des échecs ?


Le jeune artiste-peintre est celui qui la désensable, celui qui la sort de sa dérive insatisfaisante. Il faut peut-être quitter le confort douillet des châteaux, des belles villas et des voitures de luxe, affronter l'orage sur un vélo, pour trouver une relation intéressante ? Un détail préparait à cette fin dans les dunes striées par le vent, face aux éléments : Jacquie-la-coquette marchait très souvent pieds nus dans la rue. Un reste d'authenticité qui ne demandait qu'à s'exprimer ? Un appel de la plage, où l'on ôte ses chaussures pour marcher ? Toute cette errance pour arriver là ?


Le propos ne manque pas de profondeur mais l'héroïne de Paula Delsol, elle, n'est guère passionnante, c'est une limite du film. Cette Dérive, affirmant la liberté d'une jeune femme face à tous les conformismes, aurait pu être un film féministe. Mais, force est de le constater, Jacquie n'est tout de même qu'une ravissante idiote. Rien dans le ciboulot. Elle se laisse d'ailleurs traiter de gourde à plusieurs reprises sans réagir... Plus intéressante est son indépendance souveraine à l'égard des questions matérielles, mais globalement la jeune femme n'offre guère de prise à l'empathie.


Formellement, le film sait surprendre, dans sa captation de moments de vie (son côté documentaire) et dans quelques jolis plans (plusieurs sur la plage à la fin par exemple). Une chouette découverte que cette réalisatrice injustement méconnue, qui mériterait de rejoindre Varda comme rare représentante féminine au sein du Panthéon de la très mâle Nouvelle Vague française. Le célèbre Cleo de 5 à 7 et sa dimension documentaire affirmée n'est-il pas, lui aussi, l'histoire d'une dérive ?


7,5

Jduvi
7
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Créée

le 16 févr. 2022

Critique lue 87 fois

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Jduvi

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