Par l’entremise d’Adila Bendimerad, à la fois actrice principale, coréalisatrice, coscénariste et coproductrice, et de Damien Ounouri, qui rejoint sa collaboratrice sur les postes de la réalisation, du scénario et de la production, nous parvient soudain d’outre-Méditerranée un grand souffle salutaire manifestant un désir d’Histoire, de mythe, d’élan, d’amour, de construction et de destruction. Pour nourrir cette aspiration, l’intrigue s’ancre dans une Algérie historique, précisément en 1516, alors que le pays se cherche encore, entre main-mise espagnole s’exerçant depuis six ans et menace émanant des attaques de pirates qui jouent aussi bien de la férocité que de la rouerie. Comme trop souvent, la religion se mettra de la partie et le bon roi éclairé, lettré et savant, Salim Toumi (très augustement campé par Tahar Zaoui), préfèrera s’allier, contre les Espagnols catholiques, avec les pirates musulmans, emmenés par le redoutable Aroudj Barberousse (Dali Benssalah)…

Sur le mode d’un film de cape et d’épée, il découlera de cette alliance toute une succession d’évènements qui tiendront le spectateur en haleine, depuis la résistance de la reine bientôt endeuillée - la mythique Zaphira, à laquelle la réalisatrice, visiblement fascinée par cette figure féminine, prête ses traits et son interprétation habitée -, jusqu’à l’entreprise de conquête et de séduction conduite d’abord avec éclat, puis avec de plus en plus de délicatesse et de subtilité, par le chef des pirates.

Ces péripéties sont l’occasion d’une plongée infiniment tonique - et tonifiante ! - dans un univers algérien qui, renouant avec une période bien antérieure à la colonisation française, se débarrasse de sa position victimaire ainsi que du ressentiment qui l’accompagne, et ose le rythme, ose la beauté, ose le rêve. Comme en une arabesque infinie, la très belle partition sur instruments anciens et ethniques des frères Evgueni et Sacha Galperine s’enroule au montage virtuose de Matthieu Laclau et Yann-Shan Tsai et épouse la courbe des bonheurs et des drames. La somptuosité des décors et des lieux, aussi bien intérieurs qu’extérieurs, aussi bien urbains que sauvages, rend hommage au travail de Feriel Gasmi Issiakhem, à la direction artistique et aux décors, à celui de Jean-Marc Mireté, aux costumes, à celui de Samir Haddadi, pour ses combats plus allusifs et chorégraphiés que banalement ou troublement réalistes, enfin à la photographie magnifique de Shadi Chaaban, et permet d’étreindre à pleins bras une fierté algérienne lancée à la reconquête de ses racines, celles-ci dussent-elles ondoyer souterrainement entre mythe et Histoire. Les seconds rôles ne sont nullement abandonnés et Imen Noel compose une Chegga, l’autre épouse du roi, fine diplomate et stratège, qui ne pâlit en rien devant la belle Zaphira et sait se dégager des lises de la triviale rivalité ; la compagne du pirate Barberousse, l’esclave scandinave affranchie Astrid, qui explore, à l’opposé, tous les méandres de la jalousie, est incarnée par une Nadia Tereszkiewicz qui sait rendre son personnage antipathique tout autant qu’émouvant.

Enfin, le duo formé par Adila Bendimerad et Dali Benssalah, en reine Zaphira et pirate Aroudj Barberousse, offre quelques beaux moments et belles passes d’armes, que celles-ci soient verbales ou se rapprochant plus de la joute amoureuse. En des temps où les destins féminins se voient si souvent et si violemment menacés par le monde, il semble urgent, et en tout cas infiniment salutaire, d’arracher au passé, à l’oubli, et de faire réaffleurer dans l’inconscient et même le conscient collectif des silhouettes féminines aussi fortes, aussi affirmées, revendiquant leur vie physique et spirituelle de femmes libres, aussi désirantes que fidèles à une éthique.



Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/la-derniere-reine-film-damien-ounouri-adila-bendimerad-avis-10057755/

AnneSchneider
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le 21 avr. 2023

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Anne Schneider

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