Sur la base de seulement deux films vus (même si les deux films en question, celui-ci et La Barbe à papa, n'ont bien sûr pas été choisis au hasard), je crois déceler chez Peter Bogdanovich une sensibilité qui m'est très intelligible et à laquelle je suis particulièrement réceptif. Le genre de sensibilité qui permet d'appréhender une trame narrative dramatique dans les meilleures conditions — et je n'ai aucune peine à imaginer une autre tonalité, calquée sur la même trame, avec pour résultat un drame pathétique ou générique. C'est sans doute ça, aussi, le charme du Nouvel Hollywood qui me plaît tant et dont ce film est semble-t-il un jalon essentiel.
La Dernière Séance est une sorte d'entre-deux autour de cette thématique, à la fois hommage tendre et distancé au cinéma américain classique (dont les nombreuses références s'affichent sur la devanture du cinéma du coin, d'Anthony Mann à Howard Hawks) et portrait extrêmement amer, à travers la vie dans cette petite ville du Texas, sur ce que le pays compte comme illusions brisées et comme âmes perdues. C'est un peu comme si toutes les promesses de l'âge d'or n'avaient pas été tenues, laissant ces souvenirs dorés s'effriter et sombrer dans l'oubli, à l'instar du cinéma qui fermera après la mort de Sam The Lion dans le film.
Il n'y a pas un seul personnage qui ne rêve de s'enfuir de cette ville : tous tentent désespérément de s'émanciper et de se détacher des environs, en vain. Toutes les tentatives de fugue sont avortées, contrariées, à l'image de Timothy Bottoms et Cybill Shepherd qui voulaient s'enfuir et se marier très loin avant d'être rattrapés par un policier à la frontière avec l'Oklahoma. Alors tous tentent de trouver une échappatoire sur place, dans une logique du rapport à l'autre conditionnée par la recherche d'un exutoire, vouée à l'échec. Un exutoire dans le sexe, plus particulièrement, mais très loin de l'épanouissement et du plaisir : il contamine et envenime presque toutes les relations, il n'est qu'une question de calcul existentiel, conditionné par des motivations hétéroclites. C'est là qu'on voit bien qu'on se situe plus dans les années 70 (sortie du film) que dans les années 50 (époque dans le film), malgré l'omniprésence de Hank Williams dans la bande-son.
La tonalité du film en devient presque traumatisante, entre la fin du cinéma collectif comme repaire des amoureux tel qu'il est décrit dans le film, anéanti par l'avènement de la télévision, et le discours extrêmement mélancolique sur la mort d'une époque, de manière presque allégorique, à travers l'agonie de la ville. La rue principale est devenue déserte, les billards ne sont guère accueillants, les juke-box ne tournent plus. Au milieu de cet ennui généralisé, seul vrai lien unissant la jeunesse aux adultes, quelques éclairs érotiques viennent électrifier la morosité du cauchemar. Comme un sursaut de vie dans la grisaille.
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