Le cinéma américain a très vite compris l’intérêt à s’adresser directement à la jeunesse, friande de ce nouveau média. Dès La Fureur de vivre, on va redonner à cet âge ingrat ses aspérités en évitant l’image d’Épinal au profit d’une exploration des tourments propres à cette période de transition violente. Désœuvrés, violents (Outsiders), sur le point de renoncer à leurs illusions (Stand by Me), les individus sont loin de l’image véhiculée par les rocks stars censées les représenter.
La Dernière Séance s’attache à dépeindre cette gravité. Dans un monde baigné par la radio, le film en noir et blanc commence comme une mythologie qu’on égratigne rapidement : les adultes y semblent aussi paumés que leur progéniture, le sexe est l’occasion de cruauté (notamment par le handicapé qu’on dépucelle), de manipulation triste qui déterminent des ménages voués à l’échec. La bande d’ami initiale déploie des désillusions sur une période assez longue, dans laquelle le temps n’apporte rien d’autre au moulin que la confirmation qu’être adulte consiste à renoncer.
Le film est relativement bien joué, notamment par un tout jeune Jeff Bridges assez fougueux, mais ne parvient pas à gérer son rythme : trop long (130 minutes), souvent redondant, il multiplie les sous-intrigues et les thématiques (la guerre, l’adultère, l’amitié, le monde du travail, la solidarité, le capitalisme…) sans savoir en privilégier une.
On sent bien que cette chronique pourrait durer encore bien longtemps, et les différentes destinées, le plus souvent brisées mais sans drame provoquent chez le spectateur un même défaitisme qui ne rend pas service à son empathie pour les personnages.
Bogdanovich aime changer de ton : à cette fable un peu noire succédera, toujours en noir et blanc et toujours sur le passé de l’Amérique (cette fois dans les années 30) le sémillant et splendide Paper Moon deux ans plus tard, qui propose un regard bien plus aiguisé sur l’enfance insolente et les adultes roublards qui l’entourent.
En 1990, il reprendra les mêmes personnages pour évoquer la suite de leur destinée dans Texasville. Un projet de même longueur, et qui motive aussi peu au vu de l’enthousiasme modéré que génère ce premier volet.