Avec Gangs of New York, La dernière tentation du Christ est l’autre grand projet de Scorsese, mûri sur une longue période et déjà avorté pour son caractère polémique. Adaptation d’un roman que lui avait donné Barabra Hershey sur le tournage de Bertha Boxcar en 1972, le récit prend le parti à la fois simple et audacieux de considérer le Christ comme un humain avant d’être le Messie.


En découle un découpage en trois parties : les doutes de celui qui se sent appelé mais craint la charge qu’on lui octroie, son ascension (un très long passage central assez proche du Nouveau Testament tel qu’il est connu du plus grand nombre) et enfin, cette uchronie qui verrait le Christ descendre de croix pour mener une vie d’homme, de mari et de père.


Du point de vue strictement narratif, le film est assez passionnant. Il met en proie Jésus au doute, au désir, et le voit ployer sous une charge insupportable. Conduire les hommes pour lesquels il ressent avant tout de la pitié, partager son aura entre la clarté de ses paroles et la facilité de ses miracles : autour de lui, un monde moribond, où judaïsme et corruption font bon ménage, le tout sous la botte d’un empire dont la spiritualité appartient au passé. Jésus est la figure du révolutionnaire, et doit, à son corps défendant, ajouter la hache à l’amour pour faire entendre sa parole.


Scorsese a travaillé dans le souci d’une vulgarisation ; passée une introduction un peu déroutante, la linéarité s’impose, le langage est clair, les enjeux les plus complexes simplifiés : il s’agit avant tout de traiter des hommes et des femmes. Celles-ci bénéficient à ce titre d’une place inédite dans de tels récits, notamment par leur présence lors du dernier repas. Il s’agit moins d’iconoclasme que d’une nouvelle lecture, humaniste et en accord avec la parole du Christ, de ce qu’aurait pu être ces chapitres fondateurs.


La partie finale sur la vie humaine du Christ et sa rencontre avec Saul, devenu Paul, concentre tout l’intérêt de parler du Christ aujourd’hui encore : qu’est-ce qu’un mythe ? Qu’est-ce qu’un récit fondateur ? A quel point les humains ont-ils besoin de légende pour se structurer ?
Ces questions (qui sont au cœur d’un ouvrage littéraire plus récent, Le Royaume d’Emmanuel Carrère) restent avant tout de l’ordre du texte. Sur le plan visuel, Scorsese va exploiter deux influences : celle de la peinture religieuse (pour les scènes éclairées à la flamme, pour la Passion) et celle de l’Afrique. Tourné au Maroc, le film en prend toute l’atmosphère orientale, jusque dans les costumes, les tatouages féminins et la musique de Peter Gabriel, avec une touche assez païenne dans l’anthropologie, notamment dans les rites du Baptiste.


C’est là l’étrange limite du projet : une artificialité dont il n’arrive qu’assez rarement à se défaire. La comparaison avec l’autre grand film sur la spiritualité, pourtant plus éloignée de celle de Scorsese, est particulièrement révélatrice. Dans Kundun, la photographie, absolument sublime, plus veloutée, plus dense, restitue parfaitement le milieu évoqué. La musique de Philipp Glass, surtout, pourtant moins proche du folklore, permet une émotion qui n’affleure que rarement ici.


La dernière tentation du Christ est un film intéressant, stimulant d’un point de vue idéologique et théologique ; frappant dans certains de ses tableaux, mais finalement d’une certaine froideur. Scorsese lui-même l’expliquerait peut-être par les limites budgétaires de ce projet indépendant, mais cela tient peut-être aussi à une époque : les années 80 marquent beaucoup l’esthétique, de la photographie à la musique, et il lui manque, paradoxe amer pour un tel sujet, ce supplément d’âme, ce souffle qui aurait pu en faire une œuvre plus marquante.


(6.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Martin_Scorsese/1467032

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le 14 oct. 2016

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Sergent_Pepper

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