"Je n'ai pas fait ce film pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit". La citation est de Martin Scorsese, cinéaste exaspéré par toutes les polémiques qui ont pu émailler le tournage ou sa réception critique. La phrase résume bien l'état d'esprit qui a entouré cette réalisation à petit budget qui s'est faite envers et contre tous. Affublé de moyens rachitiques, Martin Scorsese n'a dû son salut qu'à la promesse de réaliser une production à gros budget pour Universal. Une décision qui prouve l'attachement personnel du cinéaste à adapter le roman éponyme de Nikos Kaantzakis.
Décidé, motivé, Scorsese n'en était pas pour autant inquiet. Le public était il prêt à voir ce Christ là, cet imparfait terrifié par la vie, peu sûr de lui, aux convictions changeantes, à la foi fragile. En adaptant le roman de Kaantzakis c'est le pari que s'est lancé le réalisateur : présenter un autre Jésus, loin des représentations bibliques qui le présentent comme un être parfait, au dessus de tout, convaincu par sa destinée. Chez Scorsese c'est un être humain, tout simplement, dans ce qu'il comporte de contradictions, de peurs, de remises en question. Loin des aspirations divines, son combat est surtout psychologique : «Je lutte, je ne sais pas avec qui, mais je lutte» explique t-il à Judas. La relation des deux hommes sert d'allégorie : elle est ambiguë, la relation homosexuelle est suggérée, ils se fascinent l'un l'autre, se tiennent chacun d'une admiration commune. Ensemble d'abord, nombreux ensuite, ils voyagent dans les pleines désertiques d'Israël. Le réalisateur met en scène le voyage comme une expérience, comme un voyage initiatique d'un homme qui se combat intérieurement, voix off à l'appuie. Les visions laissent place aux rêves, aux hallucinations, rêve t-il ? Est-il fou ? N'est-il pas, au fond, qu'un simple individu à la recherche du sens de la vie ? Scorsese instaure le doute, les motivations de ses personnages paraissent égoïstes, rarement altruistes, il pose la question de ce qui nous pousse à avancer : est on motivé par le bonheur des autres ou par nos considérations individuelles ? Même le fils de Dieu n'a pas la réponse.
«Je suis menteur, hypocrite, J'ai peur de tout. Je ne dis jamais la vérité. Je n'en ai pas le courage.» avoue Jésus, on est loin de la version dogmatique du personnage. La version du metteur en scène préfère présenter un homme qui se décourage de constater le paradoxe entre sa propre incarnation, renfermée par «tous mes péchés» comme il l'explique lui même, et sa grande destinée qui, selon lui, nécessite quelqu'un d'autre, loin de l'être incomplet qu'il pense représenter. On doute avec lui, Scorsese ne prend pas parti, il se limite à mettre en scène le plus astucieusement possible (contraint par son budget, limité) les contradictions du personnage, de sa croyance. Defoe l'incarne avec fragilité et ferveur, très impressionnant l'acteur apporte au rôle l'ambivalence qui lui convient.
La Dernière tentation du Christ n'est pas qu'une œuvre sur Jésus, c'est aussi une œuvre qui traite de la croyance, de la foi, de son utilisation. «Et les riches seront pauvres pour l'éternité !» lance le messie à une foule en transe. «Qu'on les tue !» lui répond elle. «Je n'ai pas parlé de mort, mais d'amour !» rétorque le juif de Galilée. Tout le caractère équivoque de l'interprétation du métaphysique résumé en une scène, la force du film avec elle.
Long (2h40), fauché (7M de dollars), la Dernière tentation du Christ est sûrement un des films les plus personnels du cinéaste. Ce portrait d'un homme viscéralement complexe mais définitivement humain n'a laissé personne indifférent, l'interprétation de l'évangile non plus. Certains y virent un sacrilège, d'autres un blasphème, les polémiques ont fusé au point de le classer 6ème sur les 25 films les plus controversés de tous les temps. Le hasard veut que la majorité du classement soit trusté de chef d’œuvres. Le hasard...