Le cinéma polonais, pourtant prolifique et ayant connu son apogée à l’époque de la guerre froide lors des films de propagande communiste puis anti-communiste, n’arrive que difficilement à se faire une place dans nos salles. Cela dit nous avons quand même Kinopolska, le festival du film polonais, qui nous permet d’en découvrir un peu plus sur ce cinéma qui le mérite, et ce mois-ci nous pourrons dire que nous sommes chanceux, deux bobines venues de ces contrées pointant le bout de leur nez en salles, Fear of falling distribué par Kanibal et ce Kret, rebaptisé La dette, distribué quant à lui par Fondivina.
Entre drame et thriller politique, Rafael Lewandowski, le réalisateur et scénariste, nous livre ici son premier long-métrage, sorte de volcan dont l’état est incertain, la trame tournant autour de Solidarność, des cocos, et évidemment des collabos, base de la paranoïa mise en place ici. Paranoïa qui de prime abord n’est pas forcément évidente. Nous avons un père et un fils qui font des allez-retours entre France et Pologne pour vendre des fripes, et tout éclate lorsque la femme du fils, en procès avec d’anciens gradés communistes, provoque des événements auxquels elle ne s’attendait pas: le père aurait été un collabo.
Nous étonnant par sa mise en scène, Lewandowski nous présente une situation complexe, des proches persuadés que c’est un mensonge, des polonais qui croient les calomnies et le font savoir, et enfin d’autres polonais, immigrés en France depuis les années 90, voient encore le pays comme contrôlé par les Rouges et pensent immédiatement à une conspiration.
Difficile de déceler le vrai du faux dans tout cela, et Lewandowski manipule bien nos perceptions, nous dépeignant aussi bien la vie de polonais au travers d’un voyage incroyablement immersif et intimiste qu’une trame dont l’aboutissement est nébuleux. L’amour d’un fils, une mère morte et pour laquelle le père aurait tout fait, le suspense monte crescendo pour réellement rentrer en irruption durant ses dernières vingt minutes, palpitantes, et absorbant le spectateur pour mieux lui faire perdre pied.
La dette c’est aussi la rencontre de deux grandes gueules, Borys Szyc et Marian Dziedziel, qui bien que n’ayant aucun liens filiaux nous font bien croire le contraire, aussi bien dans les moments tendus que dans les moments de pure émotion.
Fondivina nous avait déjà gratifiés de All That I Love, en 2011, ce qui ne semblerait pas être un hasard tant les deux films se complètent. Le premier présente le background politique des années 80, avec le communisme, les grèves, et évidemment le mouvement Solidarność. La dette en est la suite logique, et probablement le drame/thriller le plus intelligent sur cette réminiscence d’un passé qui n’est pourtant pas si lointain.
Lewandowski nous sert un grand film, un de ceux qui arrivent aussi bien à vous faire regarder par le trou de la serrure révélant des choses inconnues (notamment l’association polonaise du Nord-Pas-de-Calais), vous faisant vivre au milieu d’une famille polonaise au bord du déchirement, en plus de vous vriller les nerfs avec une trame si rondement menée que lorsque vous sortirez de la salle vous ressentirez un sentiment de soulagement, la pression étant enfin retombée. Lewandowski est à suivre de très près, surtout après un départ aussi tonitruant.