On est loin du remake honteux

Cette diligence avec ses passagers qui doit traverser une région infestée d'Indiens rappelle bien évidemment la Chevauchée fantastique de John Ford, et c'est normal puisque c'est son remake en Cinemascope et Technicolor. Le film qui osait faire oeuvre sacrilège en 1965, avait été vilipendé par une critique trop élitiste et sectaire qui pensait que Gordon Douglas était un impudent ayant osé repenser ce qui était considéré comme le chef-d'oeuvre de Ford. Réévaluons tout cela.
la Chevauchée fantastique n'est pas le chef d'oeuvre de John Ford ni son meilleur film, je l'ai dit dans ma critique, il s'agit d'un grand western un peu moralisateur et un peu vieilli mais qui reste captivant et mouvementé. Le remake de Gordon Douglas n'est absolument pas dégradant vis à vis de l'original, car dans le cas de Ford, il y avait certes du métier et une patte d'auteur, et dans ce cas, l'un vaut bien l'autre, chacun des deux réalisateurs ayant fait du bon travail avec les moyens qu'on leur a donnés.
Gordon Douglas n'était pas un auteur, c'était un très bon artisan du film d'action, à l'aise dans plusieurs genres dont le western, et dont on peut retenir au moins Fort Invincible, Sur la piste des Comanches, le Géant du Grand Nord, Rio Conchos et Chuka le redoutable... On peut donc considérer le film de Ford comme bénéficiant d'une maîtrise plus que de personnalité, c'est pourquoi la version de Douglas a toutes ses chances, et on ne pourra pas s'empêcher de les comparer. Douglas y fait preuve d'une étonnante dose de violence pour 1965, car son film commence avec une attaque indienne plutôt sanglante. Ensuite, on y retrouve exactement les mêmes caractères typés chez les passagers incarnés par un solide casting : Bing Crosby compose un médecin alcoolique aussi facétieux que Thomas Mitchell, la belle Ann Margret est une Dallas aussi à l'aise que Claire Trevor, Mike Connors (qui deviendra le détective Mannix dans une célèbre série TV 2 ans plus tard) est un joueur professionnel aussi élégant que John Carradine, Red Buttons est un amusant Peacock, le représentant en whisky peureux, la toute jeune Stefanie Powers incarne une Mme Mallory moins hautaine que ne l'était Louise Platt, Robert Cummings est un bon banquier véreux et détestable, Slim Pickens est Buck le conducteur de la diligence dévoué comme l'était Andy Devine, et Van Heflin est un solide sheriff Curly. Seul Alex Cord, acteur peu connu (qui se reconvertira plus tard dans les séries TV), a beaucoup moins de charisme que John Wayne dans le rôle de Ringo Kid.
Gordon Douglas a moins insisté sur les caractères intérieurs des personnages, au profit de scènes amusantes entre le docteur et Peacock, et s'est livré à quelques variantes, mais il a repris la plupart des situations vues dans le film de Ford, y compris la grande scène de poursuite de la diligence par les Indiens, mais en choisissant un terrain plus escarpé et en laissant les militaires salvateurs de côté. Je trouve qu'il s'en sort très bien en ayant fait preuve d'un brio exemplaire, souligné par une bonne musique de Jerry Goldsmith, une superbe photo mettant en valeur de superbes paysages. Il n'y a donc pas de remake honteux, il n'y a que des nostalgiques d'un vieux film d'avant-guerre.