Bien des éléments de ce film devraient en faire un chef-d’œuvre, et font d’ailleurs qu’il est considéré comme tel par une large majorité. La poésie ambiante, le travail sur la lumière, la réflexion ambitieuse sur la représentation, le reflet et la mise en abyme, l’écriture à la fois symboliste, onirique et par instant frôlant le surréalisme.
Et Irène Jacob, solaire et indécente de beauté innocente.
Le récit est mené avec audace, par ellipses et amorces inexplorées par la suite, volontairement mystérieux, s’égarant pour apparemment mieux se retrouver par la suite. De nombreuses scènes solitaires donnent accès à l’univers fantasmatique ou onirique de Véronique, poétique mais non dénué de zones d’ombres comme la sexualité notamment, à travers l’apparition de l’exhibitionniste ou le faux témoignage qu’envisage la protagoniste.
Au cœur du film, la métaphore qui deviendra mise en abyme des marionnettes est une réussite, et propose un programme de lecture assez intéressant.
Il n’en demeure pas moins que le film frôle la préciosité dans sa photographie comme dans le caractère diaphane et préraphaélite de Véronique qui se dérobe à l’incarnation au fur et à mesure qu’elle avance dans son enquête. Nimbé d’une lumière trop étudiée, saturé de motifs trop soulignés, comme la vision à travers un verre déformant ou la présence insistante des miroirs, l’univers si millimétré dans lequel elle progresse (comme la lumière dans une rue qu’elle suit scrupuleusement) la maintient de force dans le statut de marionnette de son réalisateur.
C’est dans ses élans lyriques que Kieslowski convainc le moins : la musique, omniprésente, est tout de même assez proche de l’easy listening. Le principe des caméras suggestives qui s’inclinent pour signifier le malaise, voire qui chutent après des vertiges (la scène du concert) et pire encore qui nous donnent le point de vue du cercueil sur lequel on jette des pelletées de terre sont de réelles fautes de goût et achèvent l’intégration des dissonances dans une œuvre qui de toute façon semblait déjà trop artificielle pour réellement émouvoir.