20 ans plus tard, a-t-on déjà oublié Kieslowski, et son incroyable talent à conjuguer esthétique raffinée et évocation délicate des sentiments, voire des sensations les plus ténues ? Ce serait dommage, d'autant que l'on ne voit guère de successeur à son cinéma extrêmement émotionnel tout en restant parfaitement abstrait, voire théorique. Avant l'apothéose que constituerait la trilogie "Bleu, Blanc, Rouge", "la Double Vie de Véronique" permet de saisir toute l'originalité du regard que pose sur les êtres humains - les femmes surtout, magnifiquement filmées, car très désirées... - Kieslowski : un peu comme chez Antonioni, mais avec une grâce peut-être encore supérieure, il ne s'agit ici surtout pas de nous raconter une histoire, mais de toucher au contraire à l'insondable mystère de l'existence (sommes nous des marionnettes, ou au contraire contrôlons-nous notre existence ? pourrait être le sujet - très simplifié, je l'avoue - du film). Faisceaux de coïncidences, brouillard ténu de sensations, le tout regardé derrière une vitre colorée qui déforme légèrement notre perception des personnages comme de leurs "aventures", l'ambition de Kieslowski est ici de réduire au minimum inintelligibilité de son film pour en maximiser l'impact émotionnel, ou même - oserais-je le dire ? - spirituel : il est clair que "la Double Vie de Véronique", jusqu'à sa magnifique conclusion suspendue, divisera violemment le public, entre ceux qui s'irriteront d'un formalisme excessif de l'image et de la mise en scène, et ceux qui auront rendu les armes de la logique et accepté de rêver autour d'une rencontre inouïe sur une Place de Cracovie. [Critique écrite en 2012]