En prenant comme cadre une cellule familiale, Axelle Ropert, qui réalise et écrit avec La Famille Wolberg son premier long-métrage, ne fait à priori guère preuve d’originalité. On sait trop bien combien la famille demeure la source principale des artistes, cinéastes ou écrivains. Mais, alors que la plupart mettent en scène des relations douloureuses détruites ou sabordées par le ressentiment, le secret et des névroses diverses, la jeune pigiste et critique de cinéma propose une vision plus personnelle du cercle familial, de la difficulté à se maintenir à l’intérieur et de l’impossibilité à s’en extraire.
La Famille Wolberg s’articule autour de la figure du père : juif ashkénaze, Simon Wolberg (François Damiens, profond, poétique et amusant) est maire d’une petite bourgade provinciale. Il est aussi amoureux fou de sa femme Marianne, qu’il conquit dans un train italien en déclenchant le signal d’alarme pour aller lui cueillir un coquelicot, un père envahissant pour ses deux enfants, Benjamin le cadet et Delphine qui va fêter ses dix-huit ans, et un fils provocateur, bousculant les idées de Joseph, son vieux père veuf. Simon est obsédé par la notion de la famille qui le pousse sans cesse à questionner et remettre en cause la force de ces liens, à la fois forts (les racines et le tronc) et fragiles (les branches qui n’aspirent qu’à prendre leur liberté).
Le film s’ancre aussi bien dans un lieu incertain, avec la volonté de se situer loin des grandes villes, que dans une époque indéterminée – à peine évoque-t-on quelques événements des années 2000, tandis que les décors intérieurs et la présence récurrente des disques vinyle donnent à La Famille Wolberg un côté désuet, somme toute assez charmant. Axelle Ropert joue avec malice du décalage et entraine ses personnages dans des situations iconoclastes et des discussions incongrues desquelles le réalisme s’échappe par endroits. Ainsi son goût immodéré pour la musique noire conduit-il Simon à inaugurer une école de sa commune affublée du nom d’une artiste soul. Et il n’hésite pas à se montrer cavalier et sans-gêne auprès de certains de ses concitoyens.
Habillé de dialogues très écrits et littéraires, où chacun, y compris les enfants, est capable de verbaliser ses sentiments et ses interrogations existentielles, La Famille Wolberg paraît être léger et décalé jusqu’à ce qu’il prenne une dimension nettement plus grave, où se profilent la maladie, la mort et la dissolution définitive de la famille. Une perspective funeste et tragique à laquelle les convictions de Simon ne peuvent lui permettre de se résoudre. Ce qui l’amènera à prononcer un discours – exercice dans lequel il excelle – absolument bouleversant lors de la soirée d’anniversaire de sa fille.
Dans un format court (1h20), Axelle Ropert parvient à mêler la légèreté à la gravité, en faisant également cohabiter des notions de générosité et de chaleur humaine avec des comportements plus intrusifs. Simon entretient avec son frère Alexandre une relation compliquée, ponctuée de disputes et de retrouvailles et se montre capable d’aller casser la figure à l’amant de Marianne, dont le défaut majeur réside en la couleur de ses cheveux ! Avant tout, Simon Wolberg est un formidable personnage, exubérant et attachant, un rien horripilant et désarmant. Mais ses hautes opinions sur ce que doit être la famille en font quelqu’un de cohérent et d’intègre, une sorte d’antihéros, presque démodé mais tellement séduisant. Le charme et la grâce traversent La Famille Wolberg, joli petit mélodrame singulier et intimiste.