Farouchement anticlérical. La note est jouée dès les 1ères minutes avec le détestable personnage du curé misogyne et obsédé par les femmes, le frère Archangias (horrible André Lacombe) qui crache sur la fille d'un fermier (il sait bien cracher d'ailleurs). C'est la communion avec la terre du païen, corps renié et souillé, que le curé condamne; terre labourée, violentée telle une femme exaltant tous les vices des Hommes.
"Il faudrait leur briser les reins pour les rendre agréables à Dieu" dit-il en parlant des femmes qu'il déteste. Paroles sans concession pour un visage cruel imposant une vision dure de l'homme. Son univers d'ailleurs, sous contrôle clérical, asséchant, sablonneux et de pierres, s'oppose à l'univers fleuri et verdoyant des femmes désirables, monde bucolique, celui du jardin et des fontaines, celui du jardin d’Éden (et oui on n'échappe pas au serpent et à la référence) et du temps des cerises (fruit défendu, allons-y).
La femme donc : païenne et très narcissienne, elle est illustrée par cette apparition de la belle sauvageonne Albine jouée par Gillian Hills "avec des pétales dans les cheveux". Première apparition de la païenne (dont le nom renvoie au blanc - alba) : elle est telle une Baie d'Or sortie d'un roman de Tolkien, (solaire et liée à l'eau stagnante baignée de vert). L'apparition de cette femme-fleur, de cette Ophélie, annonce la transfiguration de l'abbé qui refuse au début de regarder Albine mais s'ouvre à elle dans la Nature au sortir de son coma.
Cet abbé mystique et pensif, (dés)incarné par le beau et jeune Francis Huster, pratiquant le culte à Marie, est dans la première partie volontairement très éteint, aux yeux fixes sans passion, marchant mécaniquement tel un robot sans âme, ou parfois immobile et similaire à un mannequin de cire. Dans la seconde partie, Monsieur l'Abbé devient Serge. Le jeu éteint d'Huster, subjugué et shooté par la blonde sauvageonne, rend ce dernier insipide.
L'éclosion amoureuse de Serge demeure de ce fait sans ardeur, sans teneur poétique visuelle; Franju se rabattant sur de lourds dialogues, des regards hagards, des baisers lassants et un parcours pédestre pour le couple des plus ennuyeux. Albine, qui initie Serge au jardin, passe d'une païenne éteinte à une proto-Eve subjuguant son Adam d'abbé. Mais celle-ci s'avère en fait aussi fade que son mâle partenaire, et, très sincèrement, demeure peu convaincante. Si bien que la romance, théâtralisée, érotisée (faire l'amour sur de la bruyère, c'est orgasmique), finit par faire un gros flop, tout comme le tragique qui s'annonce.
La scène outrancière de l'orage, post coïtum, signe de la colère divine, annonce l'horrible révélation. "Mon Dieu, nous avons péché." découvre Serge contrit. Du mythe de la Genèse, on en restera là. La référence si mauvaisement explicite bascule ensuite pesamment dans la culpabilité, la fautes et l'expiation, le malheur et le morbide christique qui torturent l'abbé.
La femme est finalement chassée. L'annonce se veut tragique, mais non, rien ne nous émeut... On finira sur une oreille coupée (ah enfin du Franju !) et une fin expédiée.
Il y a cependant une indéniable recherche de plans, un montage parfois précis et remarquable : la scène du pillage chez la vieille dame décédée est à ce titre captivante avec une succession violente de plans mouvementés et de gros plans, et un fond sonore en hors-champ angoissant contrastant avec la prière de l'abbé. Il y a donc une recherche formelle à ce point manifeste qu'il en coûte cher à l'âme du film qui émotionnellement ne parvient pas à nous impliquer.
Les scènes en intérieur sont soutenues par un éclairage jaunâtre (à moins que le vieillissement de la pellicule n'y soit pour quelque chose), éclairage parfois "moucheté" qui projette les silhouettes des personnages, coincés dans des bâtiments, comme sur une scène, dans un monde en représentation, soumis aux normes morales. Cet éclairage tranche avec une lumière en extérieur éminemment plus naturelle, moins hiérarchisée mais plus écrasante (quoique soutenue artificiellement pour éclairer les acteurs) et qui propose d'ouvrir une fenêtre sur une nature sèche, poussiéreuse dans un premier temps mais qui devient fémininement bucolique et plus verdoyant dans un second temps avec la "transfiguration" de l'Abbé passant de l'amour marial, idéalisé, immatérielle à l'amour de la femme et de sa chair.
Pour cinéphiles voulant tout voir de Georges Franju.
J'ai apprécié :
- la séquence, la mise en scène, le montage et la violence du pillage très sonore chez la vieille décédée ;
- le décor de villages en pierres du Paradou ;
- des zooms propres et très agressifs qui ponctuent le film ;
- le jeu et le personnage de Fausto Tozzi.
Je n'ai pas apprécié :
- le doublage mal fichu du film ;
- la fadeur de Francis Huster et de Gillian Hills ;
- des passages musicaux insupportables ;
- la romance entre les deux personnage ;
- L'explicite et maladroite référence biblique.